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15 mai 2009

Théophile GAUTIER, Rosemonde GÉRARD, Marie GEVERS, Marc-Adolphe GUÉGAN - Yvan GOLL - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Théophile Gautier, écrivain, poète et critique d'art reconnu était contemporain de Gérard de Nerval, avec qui il se lia d'amitié.
Plus peut-être que ses poèmes, on connaît ses romans classiques pour la jeunesse, régulièrement réédités et parfois adaptés au cinéma : Le Capitaine Fracasse, Le Roman de la momie.

(titre proposé, ce passage est extrait du long poème "Intérieurs")

Décembre

Un brouillard épais noie
L'horizon où tournoie
Un nuage blafard,
Et le soleil s'efface,
Pâle comme la face
D'une vieille sans fard.
La haute cheminée,
Sombre et chaperonnée
D'un tourbillon fumeux,
Comme un mât de navire,
De sa pointe déchire
Le bord du ciel brumeux.
Sur un ton monotone
La bise hurle et tonne
Dans le corridor noir :
C'est l'hiver, c'est décembre,
Il faut garder la chambre
Du matin jusqu'au soir.
Les fleurs de la gelée
Sur la vitre étoilée
Courent en rameaux blancs,
Et mon chat qui grelotte,
Se ramasse en pelote
Près des tisons croulants.

Théophile Gautier (recueil "Intérieurs" dans "Premières Poésies, Albertus, La Comédie de la Mort, Les Intérieurs et les paysages" , 1845)

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Traversant les Landes pour son voyage en Espagne, le paysage lui inspire ce poème :

Le pin des Landes

On ne voit en passant par les Landes désertes,
Vrai Sahara français, poudré de sable blanc,
Surgir de l'herbe sèche et des flaques d'eaux vertes
D'autre arbre que le pin avec sa plaie au flanc ;

Car, pour lui dérober ses larmes de résine,
L'homme, avare bourreau de la création,
Qui ne vit qu'aux dépens de ce qu'il assassine,
Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon !

Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte,
Le pin verse son baume et sa sève qui bout,
Et se tient toujours droit sur le bord de la route,
Comme un soldat blessé qui veut mourir debout.

Le poète est ainsi dans les Landes du monde ;
Lorsqu'il est sans blessure, il garde son trésor.
Il faut qu'il ait au cœur une entaille profonde
Pour épancher ses vers, divines larmes d'or !

Théophile Gautier ("España", 1840)

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Un sentier fleuri au printemps - Pour la classe, la partie en italique est souvent exclue de ce texte :

Le sentier

Il est un sentier creux dans la vallée étroite,
Qui ne sait trop s’il marche à gauche ou bien à droite.
C’est plaisir d’y passer, lorsque Mai sur ses bords,
Comme un jeune prodigue, égrène ses trésors ;
L’aubépine fleurit ; les frêles pâquerettes,
Pour fêter le printemps, ont mis leurs collerettes.
La pâle violette, en son réduit obscur,
Timide, essaie au jour son doux regard d’azur,
Et le gai bouton d’or, lumineuse parcelle,
Pique le gazon vert de sa jaune étincelle.
Le muguet, tout joyeux, agite ses grelots,
Et les sureaux sont blancs de bouquets frais éclos ;
Les fossés ont des fleurs à remplir vingt corbeilles,
À rendre riche en miel tout un peuple d’abeilles.
Sous la haie embaumée un mince filet d’eau
Jase et fait frissonner le verdoyant rideau
Du cresson. Ce sentier, tel qu’il est, moi je l’aime
Plus que tous les sentiers où se trouvent de même
Une source, une haie et des fleurs ; car c’est lui,
Qui, lorsque au ciel laiteux la lune pâle a lui,
À la brèche du mur, rendez-vous solitaire
Où l’amour s’embellit des charmes du mystère,
Sous les grands châtaigniers aux bercements plaintifs,
Sans les tromper jamais, conduit mes pas furtifs.
 

Théophile Gautier ("Premières poésies", 1830 et 1845)

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Paysage gothique, Notre-Dame-de-Paris au soleil couchant :

Soleil couchant

En passant sur le pont de la Tournelle, un soir,
Je me suis arrêté quelques instants pour voir
Le soleil se coucher derrière Notre-Dame.
Un nuage splendide à l’horizon de flamme,
Tel qu’un oiseau géant qui va prendre l’essor,
D’un bout du ciel à l’autre ouvrait ses ailes d’or,
Et c’était des clartés à baisser la paupière.
Les tours au front orné de dentelles de pierre,
Le drapeau que le vent fouette, les minarets
Qui s’élèvent pareils aux sapins des forêts,
Les pignons tailladés que surmontent des anges
Aux corps raides* et longs, aux figures étranges,
D’un fond clair ressortaient en noir ; l’Archevêché,
Comme au pied de sa mère un jeune enfant couché,
Se dessinait au pied de l’église, dont l’ombre
S’allongeait à l’entour mystérieuse et sombre.
Plus loin, un rayon rouge allumait les carreaux
D’une maison du quai ; l’air était doux ; les eaux
Se plaignaient contre l’arche à doux bruit, et la vague
De la vieille cité berçait l’image vague ;
Et moi, je regardais toujours, ne songeant pas
Que la nuit étoilée arrivait à grands pas.

Théophile Gautier ("Premières poésies", 1830 et 1845) - *dans le texte original : "roides"

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Un "classique" du printemps :

Premier sourire du printemps

Tandis qu'à leurs œuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps.

Pour les petites pâquerettes,
Sournoisement lorsque tout dort,
Il repasse des
* collerettes
Et cisèle des
* boutons d'or.

Dans le verger et dans la vigne,
Il s'en va, furtif perruquier,
Avec une houppe de cygne,
Poudrer à frimas l'amandier.

La nature au lit se repose ;
Lui descend au jardin désert,
Et lace les boutons de rose
Dans leur corset de velours vert.

Tout en composant des solfèges,
Qu'aux merles il siffle à mi-voix,
Il sème aux prés les perce-neiges
Et les violettes aux bois.

Sur le cresson de la fontaine
Où le cerf boit, l'oreille au guet,
De sa main cachée il égrène
Les grelots d'argent du muguet.

Sous l'herbe, pour que tu la cueilles,
Il met la fraise au teint vermeil,
Et te tresse un chapeau de feuilles
Pour te garantir du soleil.

Puis, lorsque sa besogne est faite,
Et que son règne va finir,
Au seuil d'avril tournant la tête,
Il dit : " Printemps, tu peux venir ! "

Théophile Gautier ("Émaux et camées", 1852) -  "Il repasse des collerettes * / Et cisèle des boutons d'or*". Il existe différentes versions, avec "des" et "les". Après vérification c'est celle-ci qu'on doit retenir et respecter.

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Promenade nocturne

La rosée arrondie en perles
Scintille aux pointes du gazon ;
Les chardonnerets et les merles
Chantent à l’envi leur chanson ;

Les fleurs de leurs paillettes blanches
Brodent le bord vert du chemin ;
Un vent léger courbe les branches
Du chèvrefeuille et du jasmin ;

Et la lune, vaisseau d’agate,
Sur les vagues des rochers bleus
S’avance comme la frégate
Au dos de l’Océan houleux.

Jamais la nuit de plus d’étoiles
N’a semé son manteau d’azur,
Ni, du doigt entr’ouvrant ses voiles,
Mieux fait voir Dieu dans le ciel pur.

Prends mon bras, ô ma bien-aimée,
Et nous irons, à deux, jouir
De la solitude embaumée,
Et, couchés sur la mousse, ouïr

Ce que tout bas, dans la ravine
Où brillent ses moites réseaux,
En babillant, l’eau qui chemine
Conte à l’oreille des roseaux.

Théophile Gautier ("Premières poésies", 1830 et 1845)

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On propose des passages de ce texte, titrés différemment suivant le choix qui en est fait : Les marronniers, La fleur du printemps (La violette) ... :

La fleur qui fait le printemps (passages)

Les marronniers de la terrasse
Vont bientôt fleurir, à Saint-Jean,
La villa d'où la vue embrasse
Tant de monts bleus coiffés d'argent.

La feuille, hier encor pliée
Dans son étroit corset d'hiver,
Met sur la branche déliée
Les premières touches de vert.

[...]

La véronique s'aventure
Près des boutons d'or dans les prés,
Les caresses de la nature
Hâtent les germes rassurés.

[...]

Grands marronniers de la terrasse,
Si fiers de vos splendeurs d'été,
Montrez-vous à moi dans la grâce
Qui précède votre beauté.

Je connais vos riches livrées,
Quand octobre, ouvrant son essor,
Vous met des tuniques pourprées,
Vous pose des couronnes d'or.

je vous ai vus, blanches ramées,
Pareils aux dessins que le froid
Aux vitres d'argent étamées
Trace, la nuit, avec son doigt.

Je sais tous vos aspects superbes,
Arbres géants, vieux marronniers,
Mais j'ignore vos fraîches gerbes
Et vos arômes printaniers.

Adieu, je pars lassé d'attendre ;
Gardez vos bouquets éclatants !
Une autre fleur suave et tendre,
Seule à mes yeux fait le printemps.

Que mai remporte sa corbeille !
Il me suffit de cette fleur ;
Toujours pour l'âme et pour l'abeille
Elle a du miel pur dans le coeur.

Par le ciel d'azur ou de brume
Par la chaude ou froide saison,
Elle sourit, charme et parfume,
Violette de la maison !

Théophile Gautier ("Émaux et camées", 1852)

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Paysage

Pas une feuille qui bouge,
Pas un seul oiseau chantant ;
Au bord de l’horizon rouge
Un éclair intermittent ;

D’un côté, rares broussailles,
Sillons à demi noyés,
Pans grisâtres de murailles,
Saules noueux et ployés ;

De l’autre, un champ que termine
Un large fossé plein d’eau,
Une vieille qui chemine
Avec un pesant fardeau,

Et puis la route qui plonge
Dans le flanc des coteaux bleus,
Et comme un ruban s’allonge
En minces plis onduleux.
 

Théophile Gautier ("Premières poésies", 1830 et 1845)

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Un paysage de fin d'automne, où se mêlent tristesse et nostalgie :

Pensées d’automne

L’automne va finir : au milieu du ciel terne,
Dans un cercle blafard et livide que cerne
Un nuage plombé, le soleil dort ; du fond
Des étangs remplis d’eau monte un brouillard qui fond
Collines, champs, hameaux dans une même teinte ;
Sur les carreaux la pluie en larges gouttes tinte ;
La froide bise siffle ; un sourd frémissement
Sort du sein des forêts ; les oiseaux tristement,
Mêlant leurs cris plaintifs aux cris des bêtes fauves,
Sautent de branche en branche à travers les bois chauves,
Et semblent aux beaux jours envolés dire adieu.
Le pauvre paysan se recommande à Dieu,
Craignant un hiver rude ; et moi, dans les vallées
Quand je vois le gazon sous les blanches gelées
Disparaître et mourir, je reviens à pas lents
M’asseoir, le cœur navré, près des tisons brûlants,
Et là je me souviens du soleil de septembre
Qui donnait à la grappe un jaune reflet d’ambre,
Des pommiers du chemin pliant sous leur fardeau,
Et du trèfle fleuri, pittoresque rideau
S’étendant à longs plis sur la plaine rayée,
Et de la route étroite en son milieu frayée,
Et surtout des bleuets et des coquelicots,
Point de pourpre et d’azur dans l’or des blés égaux.

Théophile Gautier ("Premières poésies", 1830 et 1845)

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À quelques kilomètres de Burgos, au nord de l'Espagne, la Chartreuse de Miraflorès est un des plus beaux bâtiments gothiques du pays. Ce palais, mausolée, monastère suivant les époques, date du XVe siècle. On y aperçoit "... dans le bleu de la plaine / L'église où dort Le Cid".

Dans la Cathédrale Santa María de Burgos, reposent effectivement le chevalier Rodrigo Díaz de Vivar, surnommé "El Cid* Campeador", et son épouse doña Jimena Diaz de Oviedo, que nous appellerons simplement Chimène. * "Cid" vient de "sidi", qui signifie seigneur en langue arabe. 

En allant à la Chartreuse de Miraflorès

Oui, c'est une montée âpre, longue et poudreuse,
Un revers décharné, vrai site de Chartreuse.
Les pierres du chemin, qui croulent sous les pieds,
Trompent à chaque instant les pas mal appuyés.
Pas un brin d'herbe vert, pas une teinte fraîche ;
On ne voit que des murs bâtis en pierre sèche,
Des groupes contrefaits d'oliviers rabougris,
Au feuillage malsain couleur de vert-de-gris,
Des pentes au soleil que nulle fleur n'égaie,
Des roches de granit et des ravins de craie,
Et l'on se sent le coeur de tristesse serré...
Mais, quand on est en haut, coup d'oeil inespéré !
L'on aperçoit là-bas, dans le bleu de la plaine,
L'église où dort le Cid près de doña Chimène !

Cartuja de Miraflores, 1841

Théophile Gautier ("España", 1845)



Rosemonde Gérard (1871-1953), épouse d'Edmond Rostand, l'auteur de Cyrano de Bergerac, est la mère du grand biologiste et écrivain Jean Rostand. Elle a écrit des pièces de théâtre et des poèmes, dont le recueil "Les pipeaux". Les deux premiers ci-dessous sont connus de beaucoup d'écoliers :

L'année

Janvier nous prive de feuillage ;
Février fait glisser nos pas ;
Mars a des cheveux de nuage,
Avril, des cheveux de lilas ;

Mai permet les robes champêtres ;
Juin ressuscite les rosiers ;
Juillet met l'échelle aux fenêtres,
Août, l'échelle aux cerisiers.

Septembre, qui divague un peu,
Pour danser sur du raisin bleu
S'amuse à retarder l'aurore ;

Octobre a peur ; Novembre a froid ;
Décembre éteint les fleurs ; et moi,
L'année entière je t'adore !

Rosemonde Gérard ("Les pipeaux" éditions Lemerre, 1889 - Fasquelle éditeur, 1923)

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Paysage

Un cimetière et des troupeaux,
C’est ce qu’on voit sur l’autre rive.
Les arbres, de verdure vive,
Semblent faits avec des copeaux.

Côte à côte vont les tombeaux …
Un mouton veut qu’un mouton suive …
Un cimetière et des troupeaux,
C’est ce que l’on voit sur l’autre rive.

Ah ! cher village de repos,
Qu’elle est loin, la locomotive;
Seul, jusqu’à toi, le fleuve arrive;
Et tu dors, entre une lessive,
Un cimetière et des troupeaux !

Rosemonde Gérard ("Les pipeaux" éditions Lemerre, 1889 - Fasquelle éditeur, 1923)

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Le recueil "Les Muses françaises" est le dernier véritable recueil poétique de Rosemonde Gérard. C'est une anthologie poétique qui rassemble des textes de 39 auteures, hommage à la poésie féminine des origines à la première moitié du XXe siècle. Rosemonde Gérard y a dédié un poème à chacune d'elles, celui qui suit illustre sa propre poésie :

Le jardin vivant

Quand je n’étais encore au monde qu’une enfant
Qui vivait au jardin et croyait au feuillage,
J’allais souvent revoir, dans un jardin vivant,
Tous ces perroquets bleus qui font tant de tapage.

Je suivais, sur le bord d’un ruisseau palpitant,
Le canard mandarin, cet arc-en-ciel qui nage ;
Et, lorsque je tendais du pain à l’éléphant,
Je lui tendais mon cœur encor bien davantage.

Le singe était partout ; l’ours était dans un coin ;
Sur un petit rocher méditait le pingouin ;
Le monde était absent du rêve qui m’effleure.

Je respirais un chant. Je comprenais un cri.
Et puis, je rapportais quelque lilas fleuri…
Et je n’ai pas beaucoup changé depuis cette heure !

Rosemonde Gérard ("Les Muses françaises", éditions Charpentier, 1943)

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Le recueil "Les Muses françaises" est le dernier véritable recueil poétique de Rosemonde Gérard. C'est une anthologie poétique qui rassemble des textes de 39 auteures, hommage à la poésie féminine des origines à la première moitié du XXe siècle. Rosemonde Gérard y a dédié un poème à chacune d'elles, celui qui suit illustre sa propre poésie :

Les peupliers

Les grands peupliers longent le ruisseau
Et vont, d’un air grave,
Reverdis à neuf par le renouveau
Qui fait l’air suave.

Un par un, faisant un tremblant rideau
Au torrent qui bave,
Les grands peupliers longent le ruisseau,
Et vont, d’un air grave.

Fiers de tout ce qui se passe là-haut,
Et qu’eux seuls ils savent,
Hochant sur le ciel leur léger plumeau,
Avec des airs graves,

Les grands peupliers longent le ruisseau.

Rosemonde Gérard ("Les pipeaux" éditions Lemerre, 1889 - Fasquelle éditeur, 1923)



Marie Gevers  (1883-1975) est une romancière et poète belge.

Octobre (première moitié du poème)

Les nuages sont des quenouilles,
les doigts du vent, légers et vifs,
Y filent la pluie, où se mouillent
Nos chênes, nos hêtres, nos ifs.

La pluie est une grande trame
Se tendant du ciel au sol,
Et navettes, couleur de flamme,
Les feuilles y lancent leur vol.

[...]

Marie Gevers ("Les arbres et le vent" - éditions Robert Sand, Bruxelles, 1923)

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Chanson pour apprendre aux cinq sens à aimer la pluie

Il pleut des résilles d’argent :
Vois, la tintante joie
De l’étang aux roseaux penchants,
Où le jardin se noie.

La saveur d’air des champignons,
Cueillis dans les prairies,
Dans le brouillard du matin fond
En savoureuse pluie.

Sur le toit écoute couler
Les gouttes et bruire
De tuile en tuile les colliers
De perles de leur rire.

Respire le parfum moisi
Et tiède de la terre
Où des bulles glissent ainsi
Que des ronds de lumière.

Ouvre les paumes de tes mains
Pour recueillir l’ondée,
En t’imaginant que tu tiens
Les cheveux des nuées.

Et tâche d’être alors à la fois,
Dans le frais paysage,
L’étang, les champignons, le toit,
La terre et les nuages.
 

Marie Gevers ("Missembourg" - Buschmann, 1917)

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Les poèmes du recueil "Antoinette" sont dédiés à sa fille :

Repas du matin

Dans ce lait où fleurit le printemps des prairies,
Et le sucre où l'hiver des betteraves brille,
dans le pain qui concentre les moissons d'été,
Et dans la confiture où la maturité
De l'automne à ta bouche joyeuse est donnée,

Trouve la saveur des journées
Et la joie diverse des mois
Qui nous amènent trois par trois
Les saisons dont la belle ronde
Sans cesse tourne autour du monde.
 

Marie Gevers ("Antoinette" - Buschmann éditeur, 1925)



Marc-Adolphe Guégan (1891-1959), poète et journaliste, ami de Gérard de Nerval, est né sur l'île d'Yeu, où il y a toujours sa maison. Il met en vers la paysage maritime de son île natale dans plusieurs recueils.

Ici, on appréciera l'humour de ces instantanés pris en tercets, que l'auteur, par rigueur et modestie n'appelle pas des haïkus. Les trois premiers sont empruntés au site : http://www.100pour100haiku.fr/ (lien à copier-coller)

Poèmes courts (sans titres)

Il vit une déesse

En ce nuage.
Elle, un dieu de l'Olympe.

Marc-Adolphe Guégan ("Trois petits tours et puis s'en vont", éditions Messein, 1924)

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Girafe. Grand escargot
Qui a perdu sa coquille
Et la cherche à l'horizon.

Marc-Adolphe Guégan ("L'Arche de Noé")

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Le train suit le rail.
Il passe.
Le rail suit le train.

Marc-Adolphe Guégan ("Les quilles et la boule")

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Voici d'autres tercets, publiés dans le recueil "Trois petits tours et puis s'en vont" :

Le marronnier écarquille
 
Chaque main
 
Et il compte sur les doigts.

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Hirondelle : Ciseaux
 
Coupant le drap de l'air
 
En échantillons bleus.

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Hiver. L'arbre se retourne.
 
Au ciel ses racines
 
Et dans le sol son feuillage.

Marc-Adolphe Guégan ("Trois petits tours et puis s'en vont", éditions Messein, 1924)

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Pas vraiment dans le thème du paysage, même maritime, voici un texte ironique, en attendant mieux :

Leurs derniers jours

Donc ils n'ont tant passé de nuits sous la Grande Ourse,
Dans leurs cirés poisseux, couleur de jaune d'œuf,
De ce vieux continent jusqu'au continent neuf
Ils n'ont tant navigué - vidant par tout leur beurre.

Ils n'ont tant consommé des conserve de b
œuf,
Et bu de l'eau dont la mer même était la source,
Ils n'ont tant excité leur navire à la course,
Ils n'ont tant profané n'importe où leur corps veuf

Que pour échouer là comme un enfant qui boude,
Et dire le genou replié sous le coude
Les terres de soleil, tandis qu'il peut et pleut ...

Ou pour fixer d'un
œil que le flot rendit bleu,
Sur le frêle chantier de bois blanc qui l'égaye,
Un trois-mâts enfantin captif d'une bouteille.

Marc-Adolphe Guégan ("Mystique des tempêtes", éditions Messein, 1927)



Yvan Goll (1891-1950), ou Ivan Goll, ou encore, mais plus rarement, Yvan Lazang, sont les pseudonymes du romancier et poète Isaac Lang. Il a vécu en France, en Allemagne et en Suisse, puis aux États-Unis. Outre ses textes et recueils de poèmes, il est le traducteur d'auteurs allemands, anglais et américains.
Claire Goll (1890-1977), romancière et poète, et son mari Yvan Goll ont produit une œuvre parfois commune, toujours en connivence, même si les "Poèmes de jalousie" traduisent quelques tensions. Claire a traduit de l'allemand en français des textes d'Yvan.

Des poèmes d'Yvan et de Claire Goll se trouvent sur un blog qui leur est dédié, sans compter les liens qu'on y trouvera pour d'autres découvertes (poèmes, articles, textes divers) : http://yvanclairegoll.canalblog.com/ (le lien est indirect, il faut copier-coller cette adresse dans votre navigateur).

Sur leur tombe commune, au Père-Lachaise, on peut lire :

Je n'aurai pas duré plus que l'écume
Aux lèvres de la vague sur le sable
Né sous aucune étoile un soir sans lune
Mon nom ne fut qu'un sanglot périssable

(extrait de "La Chanson de Jean Sans Terre", recueil de poèmes d'Yvan Goll, 1936)

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On propose parfois le passage en plus foncé du poème qui suit (recueil "La chanson de Jean sans Terre"), sous le titre "Renouveau", comme dans l'anthologie de Claude Got citée en référence.

Jean sans Terre devant le Printemps et la mort - Renouveau (*)

Jean sans Terre : embrasse
De tes bras serrés
Les saisons qui passent
Passent sans arrêt

Car la vie remonte
De toute les morts
Car le doute a honte
Et la nuit a tort

Quand l'ardente aurore
Immuablement
Ranime et redore
Tout commencement


Entre l'herbe sèche (*)
Du moindre talus
S'élance la flèche
Du premier crocus

Curieuse petite
A l'œil étonné
La pieuse hépatite
Prie au bord des prés

Ecoute les cloches
Du muguet pascal
En tends sous la roche
L'orgue du cristal

L'assemblée des aulnes
Devant le ruisseau
Répète les psaumes
Du règne nouveau

Pour ses fiançailles
Le champ reverdi
Frappe les médailles
D'or du pissenlit

Les plus pauvres saules
Et les plus bossus
Portent sur l'épaule
L'oiseau revenu

Oh toi qui termines
Bientôt ton destin
Chargé d'albumine
Mordu de chagrin

Toi qui sens ta corne
Lentement durcir
Le cheveu qui t'orne
Déjà s'alanguir

Qui entends la nacre
De ta dent sauter
Que nul simulacre
Ne pourra sauver

Toi qui dans la moelle
Pourrie de tes os
Sais que ton étoile
Te voue au chaos

Est-ce toi qui chantes
Le long du chemin
Où les communiantes
S'en vont le matin ?

Toi qui t'agenouilles
Dans le trèfle blanc
Et du crâne fouilles
Le sol odorant ?

Oh ta grosse tête
Lourde : penche-la
Sur la violette
Qu'un bourdon viola

Car tu n'es pas autre
Que ces végétaux
Bagnard ou apôtre
Toi qui mourras tôt

Sache que ton âme
Toujours renaîtra
Dans le cerf qui brame
Dans le mimosa

La riche semence
De tes yeux taris
Croîtra d’abondance
Dans les myosotis

L’inquiète ancolie
Aura la couleur
De mélancolie
Qui teignait ton cœur

Lorsqu’un jour trois mètres
De terreau tassé
Couvriront ton être
Calme trépassé

Pauvre Jean sans Terre
Tu ne diras pas
Que tu es sans terre :
Tu l’embrasseras
.

Yvan Goll ("La chanson de Jean sans Terre", éditions Poésie et Cie, 1936) - (*) Début du poème "Renouveau" dans le recueil de Claude Got : "Pin Pon d'Or" (Colin-Bourreler, 1972)

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Faal

De notre balcon de Choesroes
Nous regardons la jeune lune
Chasser le soleil fatigué dans sa tanière

Les fleurs bleuissent et se fanent
Les poissons meurent
Nourris de nos pêchés

Je tiens ta main d'ivoire
Les irradiations de la lune
L'ont changée en une branche de corail
 

Yvan Goll ("Multiple Femme", Caractères 1956)

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Les poèmes VI et VII du recueil "Le char triomphant de l'antimoine", qui en compte XV, chacun avec son titre original :

VI

Le semeur d'hexagones

Le tambour du soleil sonne
A mon front de Lucifer
Chaque saison me couronne
Tantôt d'or tantôt de fer

Paysan de l'hexagone
Aux semailles de l'hiver
Neige miel ou belladone
Je cultive l'univers

L'étoile aux six yeux me toise
Des bas-fonds d'une turquoise
Où grésillent mes vieux os

L'eau qui brûle dans les rhombes
Du cristal traverse en trombe
Mes chairs par mille réseaux

VII

Transmutations

Quelle est la harpe d'azur
Vive aux abîmes du Hartz
A mettre un regard si pur
Aux yeux biseautés du quartz

La montagne frissonna
Aux pas des renards charmés
Dans les prismes des grenats
Saigne mon œil enfermé

Nourri des étés de chrome
Un feu couvé dans ma paume
Donne naissance à l'oiseau

Au soufre des passiflores
Mon sommeil se décolore
Et mon chant calme les eaux
 

Yvan Goll ("Le char triomphant de l'antimoine", éditions Hémisphères, 1949)

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On n'y résiste pas... S'il n'est pas dans le thème du paysage (oui, en "Lettera amorosa" c'était tout indiqué), ce beau texte, poème "d'Yvan à Claire", passage du recueil que Claire et Yvan Goll ont écrit l'un et l'autre : "Poèmes de Jalousie", est bien antérieur au classique "Ne me quitte pas", de Jacques Brel ...

d'Yvan à Claire

Reviens :
J'inventerai une cinquième saison pour nous seuls,
Où les huîtres auront des ailes,
Où les oiseaux chanteront du Stravinsky
Et les hespérides en or
Mûriront aux figuiers

Je changerai tous les calendriers,
Où manqueront les dates de tes anciens rendez-vous,
Et sur les cartes de l'Europe
J'effacerai les routes de tes fuites

Reviens :
Le monde renaîtra
Les boussoles auront un nouveau Nord
Ton coeur !
 

Yvan et Claire Goll ("Poèmes de Jalousie (avec Claire Goll)", éditions Jean Budry et Cie, 1926)


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15 mai 2009

Joachim DU BELLAY - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Joachim du Bellay (1522-1560) est avec son contemporain Pierre de Ronsard, le plus important des poètes de la Renaissance. De son long séjour à Rome en 1553, il rapporte "Les Regrets", titre explicite du recueil publié quelques années plus tard, et dont "Heureux qui, comme Ulysse" est peut-être le poème le plus célèbre de cette époque (en concurrence avec "Mignonne, allons voir si la rose ...", de Ronsard).

"Loire fameux, qui, ta petite source,
Enfles de maints gros fleuves et ruisseaux,
Et qui de loin coules tes claires eaux
En l'Océan d'une assez vive course" ...
("du Bellay, "L'olive")

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Heureux qui, comme Ulysse ...

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,

Ou comme cestuy-là* qui conquit la toison,

Et puis est retourné, plein d'usage et raison,

Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village

Fumer la cheminée, et en quelle saison

Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,

Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,

Que des palais romains le front audacieux,

Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :

Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,

Plus mon petit Liré, que le Mont Palatin,

Et plus que l'air marin la douceur angevine.

* Suggestion : remplacer, pour les élèves, par "celui-là"

Joachim du Bellay ("Les Regrets", écrit à Rome de 1553 à 1557 et édité en 1558 - éditions récentes chez "Lgf/Le Livre De Poche" en 2002 - et en Poésie/Gallimard : "Les Regrets - précédé de "Les Antiquités de Rome, et suivi de "La Défense et illustration de la langue française", 2005) - On trouvera ici une analyse du poème : http://www.lettres.ac-versailles.fr/spip.php?article676

  • On l'aura peut-être écouté (ou du moins entendu) : le chanteur Ridan (Album révélation de l’année 2005 aux Victoires de la Musique), a posé une mélodie sur ce texte, avec quelques suppléments répétitifs. Une hérésie pour les classiques, une curiosité, peut-être intéressante avec les élèves ...

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D'un vanneur de blé aux vents

À vous, troupe légère,
Qui d'aile passagère
Par le monde volez,
Et d'un sifflant murmure
L'ombrageuse verdure
Doucement ébranlez,

J'offre ces violettes,
Ces lis et ces fleurettes,
Et ces roses ici,
Ces vermeillettes roses,
Tout fraîchement écloses,
Et ces œillets aussi.

De votre douce haleine
Éventez cette plaine,
Éventez ce séjour,
Cependant que j'ahanne
À mon blé que je vanne
À la chaleur du jour
.

Joachim du Bellay ("Divers Jeux rustiques", 1558 - édité en Poésie/Gallimard, 1996)


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15 mai 2009

Gilles VIGNEAULT - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Gilles Vigneault est né en 1928. C'est un poète et un chanteur (auteur-compositeur-interprète). Voir ici sur le blog un autre texte : J'ai pour toi un lac. On lira aussi le texte de la chanson : "Les gens de mon pays", ici : PRINT POÈTES 2008 : L'AUTRE (Monde).
Certains termes ou expressions sont particulières au français du Québec, on les reconnaîtra au passage.

Mon pays

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
Mon jardin ce n'est pas un jardin, c'est la plaine
Mon chemin ce n'est pas un chemin, c'est la neige
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver

Dans la blanche cérémonie
Où la neige au vent se marie
Dans ce pays de poudrerie
Mon père a fait bâtir maison
Et je m'en vais être fidèle
A sa manière, à son modèle
La chambre d'amis sera telle
Qu'on viendra des autres saisons
Pour se bâtir à côté d'elle

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
Mon refrain ce n'est pas un refrain, c'est rafale
Ma maison ce n'est pas ma maison, c'est froidure
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver

De mon grand pays solitaire
Je crie avant que de me taire
A tous les hommes de la terre
Ma maison c'est votre maison
Entre mes quatre murs de glace
Je mets mon temps et mon espace
A préparer le feu, la place
Pour les humains de l'horizon
Et les humains sont de ma race

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
Mon jardin ce n'est pas un jardin, c'est la plaine
Mon chemin ce n'est pas un chemin, c'est la neige
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'envers
D'un pays qui n'était ni pays ni patrie
Ma chanson ce n'est pas une chanson, c'est ma vie
C'est pour toi que je veux posséder mes hivers

Gilles Vigneault (paroles et musique, 1964) - chanson écrite, paroles et musique, pour le film "La Neige a fondu sur la Manicouagan" (1965).



15 mai 2009

Andrée SODENKAMP, Philippe SOUPAULT - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Andrée Sodenkamp (1906-2004), pour l'état-civil Maud-Andrée Sodenkamp, est une poète belge de langue française.

Le printemps

Le printemps garde encor
au bord de la colline
sa face de bois mort.
Un petit arbre neuf, une églantine
blanchi de bas en haut.
L'éclat monte des eaux.
Tout va briller, s'ouvrir
le monde est en soupir
un saule aux clairs cheveux
est si clair qu'il s'efface.
Et le ciel bleu, par place
a des corbeaux heureux.

Andrée Sodenkamp ("Poèmes choisis", Académie Royale de Langue et de Littérature françaises, Bruxelles, 1998)

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Les loups

C'était un beau soir de tempête,
Tant de loups assemblés étaient bons pour mon âme.
J'appelais par-delà la neige de la mort
des êtres bien-aimés encore chauds de fourrure.
C'était un beau soir de tempête.
Les arbres criaient,
le ciel balayé ne pouvait les suivre.
Mon âme ouverte ressemblait à la gueule du loup.
Je marchais avec la tempête,
très vite, par-delà mes horizons vivants
et je mordais comme les loups
la chair blessée des vieux chagrins.

Andrée Sodenkamp ("C'est au feu que je pardonne", André de Rache, Bruxelles, 1976)

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La fenêtre est un livre d'images

La fenêtre a chassé la nuit
de ses vitres qui s'ensoleillent
et cette lune de minuit
qu'on te vola dans ton sommeil.

Elle raconte le vieil arbre
qui ruisselle soudain d'oiseaux,
la rose ouverte et puis les larmes
que va pleurer un soir si beau.

Elle capte pour t'enchanter
le printemps comme une musique,
les voiliers d'air faits de nuées
qui s'en iront vers l'Amérique.

Quelquefois passe une hirondelle
plus bleue encor que le ciel bleu
et les autos moins vives qu'elle.
Les compter te paraît un jeu.

T'offrant le monde en ta maison,
La fenêtre est livre d'images.
Tu peux feuilleter les saisons
sans avoir à tourner la page.

Andrée Sodenkamp ("Poèmes choisis", Académie Royale de Langue et de Littérature françaises, Bruxelles, 1998)

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Terre (passage)

Sur mon pays, jadis, la forêt allait, dit-on, de son pas d'arbres, nonchalamment. Aujourd'hui il ne reste ici qu'une terre en gésine de blé, aussi triste qu'une bête domestique.
Je rêve parfois à cette forêt ancienne, qui viendrait pendant la nuit, prendre ma maison dans sa cage verte et je me réveille entre ses oiseaux suspendus
.
O triste terre, veuve d'arbre, te souviens-tu de ta robe d'épouse, de tes yeux d'ombre ... du passage léger d'un faon sur ton argile attentive ?
[...]

 

Andrée Sodenkamp ("Sainte terre", Librairie des Lettres, 1954)



Philippe Soupault (1897-1990) est un poète et romancier surréaliste . Il a appartenu au mouvement Dada (voir André Breton). Il est l'auteur avec André Breton du premier grand texte surréaliste : Les Champs magnétiques, et comme lui, il s'est éloigné du Mouvement surréaliste qu'il avait contribué à fonder.

Pleine Lune

J’ai ouvert ma fenêtre
et la lune m’a souri
J’ai fermé ma fenêtre
et j’ai entendu un cri
J’ai ouvert ma fenêtre
pour voir tomber la pluie
Et comme c’était dimanche
je me suis rendormi

Philippe Soupault  ("Poèmes et poésies" - Éditions Grasset, collection Les Cahiers rouges, 1987)



15 mai 2009

Madeleine RIFFAUD, Ann ROCARD, Pierre de RONSARD - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

 

Madeleine Riffaud est née en 1924. Résistante contre le nazisme, journaliste engagée (grand reporter pour le quotidien communiste L'Humanité), elle a publié des romans et des poèmes.

Un magnifique poème court :

Nuit

Il fait noir
Acceptons la nuit,
Nuit :
Terre à étoiles.

Madeleine Riffaud ("On l'appelait Rainer : 1939-1945" - Éditions Julliard, 1994)

 



Ann Rocard est née en 1954. On découvrira ses poèmes et ses nombreuses activités sur son site, ici : http://www.annrocard.com/ 

Bien au chaud

Dans ma maison, bien au chaud,
je vois le jour qui s'enfuit
et les étoiles là-haut
qui s'allument dans la nuit.
J'entends le vent qui s'élance
entre les tuiles du toit
et les grands arbres qui dansent
à la lisière du bois.
Chez moi, je suis à l'abri.
Je bois un bon lait bouillant.
Je n'ai pas peur de la pluie,
de l'hiver et du grand vent.

Ann Rocard



Pierre de Ronsard (1524-1585) a fondé avec Joachim du Bellay (voir son paragraphe dans cette même catégorie), le groupe de sept poètes appelé "La Pléïade".

On a cité, pour la mise en vers de la vallée de la Bièvre, Victor Hugo et Jean Moréas, (voir leurs paragraphes respectifs). Voici l'allusion de Ronsard à cette rivière, du côté d'Arcueil (Val-de-Marne) et de sa "source voisine".
On l'aperçoit au détour d'un des sonnets à Hélène, dont on a conservé le joli langage en ancien français :

XXXIII

[...]

Tu es deux fois venue à Paris, et tu fais
Semblant de n'y venir, afin que mon martire
Ne s'allege, en voyant ton œil que je desire,
Ton œil qui me nourrit par l'objet de ses rais.

Tu vas bien à Hercueil avecque ta cousine
Voir les prez, les jardins, et la source voisine
De l'Antre, où j'ay chanté tant de divers accords.

Tu devois m'appeler, oublieuse Maistresse :
Dans ton coche porté je n'eusse fait grand presse :
Car je ne suis plus rien qu'un fantaume sans corps.

Pierre de Ronsard ("Sonnets pour Hélène", 1578)

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Ronsard a célébré une autre source (ou "fontaine"), dans le Vendômois, qui est sa "terre paternelle". Il chante cette "fontaine" dans plusieurs odes, imitées d'Horace (Ode à la fontaine de Bandusie). Voici la plus connue, accomplissant le souhait du poète : "
Commandant à la mémoire / Que tu vives par mes vers" :

Ode à la Fontaine Bellerie

O fontaine Bellerie
Belle fontaine chérie
De nos nymphes, quand ton eau
Les cache au creux de ta source
Fuyantes le satyreau
Qui les pourchasse à la course
Jusqu’au bord de ton ruisseau ;
Tu es la nymphe éternelle
De ma terre paternelle :
Pour ce, en ce pré verdelet,
Vois ton poète qui t’orne
D’un petit chevreau de lait
À qui l’une et l’autre corne
Sortent du front nouvelet.
L’été je dors ou repose
Sur ton herbe, où je compose,
Caché sous tes saules verts,
Je ne sais quoi, qui* ta gloire
Enverra par l’univers,
Commandant à la mémoire
Que tu vives par mes vers.
L’ardeur de la canicule
Ton vert rivage ne brûle,
Tellement qu’en toutes parts
Ton ombre est épaisse et drue
Aux pasteurs venant des parcs,
Aux bœufs las de la charrue,
Et au bestial épars.
Io, tu seras sans cesse
Des fontaines la princesse,
Moi célébrant le conduit
Du rocher percé, qui darde
Avec un enroué bruit
L’eau de ta source jasarde
Qui trépillante se suit.


Pierre de Ronsard ("Odes", 1553) - * plus justement en français moderne : "que"

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Voici le texte intégral d'un poème, lui aussi des plus connus, écologique avant la lettre. Il reste de cette grande forêt de Gastine, "le bois de Gâtine" et ses étangs, site heureusement protégé du Loir-et-Cher.
On propose en général de ce texte le passage à partir de "
Écoute, bûcheron," passage dont le texte  a été légèrement modernisé :

Contre les bûcherons de la forêt de Gastine

Quiconque aura premier la main embesognée
A te couper, forêt, d’une dure cognée,
Qu’il puisse s’enferrer de son propre bâton,
Et sente en l’estomac la faim d’Erisichton,
Qui coupa de Cérès le Chêne vénérable
Et qui gourmand de tout, de tout insatiable,
Les bœufs et les moutons de sa mère égorgea,
Puis, pressé de la faim, soi-même se mangea :
Ainsi puisse engloutir ses rentes et sa terre,
Et se dévore après par les dents de la guerre.

Qu’il puisse pour venger le sang de nos forêts,
Toujours nouveaux emprunts sur nouveaux intérêts
Devoir à l’usurier, et qu’en fin il consomme
Tout son bien à payer la principale somme !

Que toujours sans repos ne face en son cerveau
Que tramer pour néant quelque dessein nouveau,
Porté d’impatience et de fureur diverse,
Et de mauvais conseil qui les hommes renverse !

Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras;
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas ;
Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à force
Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ?

Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts et de détresses
Mérites-tu, méchant, pour tuer nos déesses ?

Forêt, haute maison des oiseaux bocagers !
Plus le cerf solitaire et les chevreuils légers
Ne paîtront sous ton ombre, et ta verte crinière
Plus du soleil d'été ne rompra la lumière.

Plus l'amoureux pasteur sur un tronc adossé,
Enflant son flageolet à quatre trous percé,
Son mâtin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l'ardeur de sa belle Janette.

Tout deviendra muet, Écho sera sans voix ;
Tu deviendras campagne, et, en lieu de tes bois,
Dont l'ombrage incertain lentement se remue,
Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue ;
Tu perdras le silence, et haletants d'effroi
Ni Satyres ni Pans ne viendront plus chez toi.

Adieu, vieille forêt, le jouet de Zéphire,
Où premier j'accordai les langues de ma lyre,
Où premier j'entendis les flèches résonner
D'Apollon, qui me vint tout le coeur étonner,
Où premier, admirant ma belle Calliope,
Je devins amoureux de sa neuvaine trope,
Quand sa main sur le front cent roses me jeta,
Et de son propre lait Euterpe m'allaita.

Adieu, vieille forêt, adieu têtes sacrées,
De tableaux et de fleurs autrefois honorées.
Maintenant le dédain des passants altérés,
Qui, brûlés en l'été des rayons éthérés,
Sans plus trouver le frais de tes douces verdures,
Accusent tes meurtriers et leur disent injures.

Adieu, chênes, couronne aux vaillants citoyens.
Arbres de Jupiter, germes Dodonéens,
Qui premiers aux humains donnâtes à repaître ;
Peuples vraiment ingrats, qui n'ont su reconnaître
Les biens reçus de vous, peuples vraiment grossiers
De massacrer ainsi leurs pères nourriciers !

Que l'homme est malheureux qui au monde se fie !
Ô dieux, que véritable est la philosophie,
Qui dit que toute chose à la fin périra,
Et qu'en changeant de forme une autre vêtira !

De Tempé la vallée un jour sera montagne,
Et la cime d'Athos une large campagne ;
Neptune quelquefois de blé sera couvert :
La matière demeure et la forme se perd.

Pierre de Ronsard ("Élégies", élégie XXIV, 1565)

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Un beau poème d'amour, où le paysage est pris à témoin, proposé pour ce thème 2011 du paysage, par le site du Printemps des Poètes à l'adresse (à copier-coller) : http://www.printempsdespoetes.com

le premier Livre des Amours

consacré à Cassandre (1)

XV

Ciel, air et vents, plains et monts découverts

Ciel, air et vents, plains et monts découverts,
Tertres vineux et forêts verdoyantes,
Rivages torts et sources ondoyantes,
Taillis rasés et vous bocages verts,
Antres moussus à demi-front ouverts,
Prés, boutons, fleurs et herbes roussoyantes*,
Vallons bossus et plages blondoyantes,
Et vous rochers, les hôtes de mes vers,
Puis qu'au partir, rongé de soin et d'ire,
À ce bel œil Adieu je n'ai su dire,
Qui près et loin me détient en émoi,
Je vous supplie, Ciel, air, vents, monts et plaines,
Taillis, forêts, rivages et fontaines,
Antres, prés, fleurs, dites-le-lui pour moi.
 

Pierre de Ronsard ("le premier Livre des Amours", consacré à Cassandre, 1552, puis 1584)
(1) Cassandre est le prénom d'une jeune fille, que Ronsard rencontra à Blois, et dont on peut se douter qu'il fut amoureux, puisqu'il lui a consacré un recueil entier.
* "roussoyantes" n'est pas dérivé de "roux", cet adjectif signifie ici couvertes de rosée



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15 mai 2009

Julien GRACQ, Luce GUILBAUD - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Julien Gracq (1910-2007) est romancier, auteur de théâtre, essayiste et poète, connu surtout pour son grand roman Le Rivage des Syrtes, paru en 1951 (prix Goncourt que l'auteur refuse). On citera de Julien Gracq ses deux recueils de poésie : Liberté grande, poésie en prose (1946), et Les Eaux étroites (1976). 

Ce texte est proposé pour le thème 2011 du paysage, par le site du Printemps des Poètes à l'adresse (à copier-coller) : http://www.printempsdespoetes.com

Aubrac

Il faut si peu pour vivre ici. De ce balcon où penche la montagne à l'heure où le soleil est plus
jaune, il ne reste plus à choisir qu'à droite, la banquette ou l'herbe noircit sous les châtaigniers, à
gauche la Viadène au loin déjà toute bleue. A mi-pente, la journée respire. De cette galerie ample et
couverte où glisse la route de gravier rose au-dessus du Causse gris-perdrix, on voit mûrir très bas
les ombres longues dans la lumière couleur de prune. Tout commande de faire halte à ce reposoir
encore tempéré où la terre penche, pour respirer l'air luxueux de parc arrosé, la journée qui
s'engrange dans les rais du miel et la chaleur de l'ambre, jusqu'à ce que l'oeil gorgé revienne à la
route rose qui monte sous le soleil avant de tourner dans l'ombre d'un bois de sapins, et que ta main
déjà fraîchisse avec le soir – ta main qui laisse filtrer le bruit plus clair du torrent, ta main qui me
tend les colchiques de l'automne.
Nous monterons plus haut. Là où, plus haut que tous les arbres, la terre nappée de basalte hausse
et déplisse dans l'air bleu une paume immensément vide, à l'heure plus froide où tes pieds nus
s'enfonceront dans la fourrure respirante, où tes cheveux secoueront dans le vent criblé d'étoiles
l'odeur du foin sauvage, pendant que nous marcherons ainsi que sur la mer vers le phare de lave
noire, par la terre nue comme une jument.
 

Julien Gracq ("Liberté grande", Éditions José Corti, 1946) 

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Passages du recueil "Les eaux étroites", où l'auteur met en prose poétique ses souvenirs des promenades qu'il faisait enfant sur les bords de l'Èvre, rivière du Maine-et-Loire qui zigzague dans "un canton retranché de la terre" :

L'Èvre (titre proposé)

 La végétation épaisse de ses rives, l’étroitesse de son cours, la noirceur de son eau mangeuse d’ombres et ses coteaux surplombants donnent à cette rivière un caractère mystérieux, celui  d’un canton retranché de la terre dont la barque seule pouvait livrer la clef ...

 La petite rivière semblait de bout en bout zigzaguer à travers un parc naturel ensauvagé, un recels protégé du loisir et du dimanche, où nulle part ne se montraient les stigmates du travail… l'Èvre n'a guère qu'une vingtaine de mètres de large, parfois moins ; le lit est profond, criblé entre les souches pourries de trous et d'anfractuosités où s'abritent les brochets géants. Sans doute la pollution a-t-elle dépeuplé aujourd'hui la rivière comme toutes les autres, mais dans mon enfance une partie de pèche sur l'Èvre signifiait qu'on courrait * sus au gros gibier : ces eaux couleur de réglisse passaient pour nourrir des bêtes centenaires"…

 Les branches des arbres haut perchés sous lesquels on glisse, les branches du pin ami des rochers qui se penchent anguleuses au-dessus de l’eau dans les lavis chinois, accentuent le sentiment d’ivresse calme, et peuvent d’un moment à l’autre faire succéder au caprice d’un ruban d’eau cerné de précipices l’intimité protégée, la fuite attirante des voûtes d’arbres qui couvrent en berceau un canal courant droit jusqu’à l’horizon. On s’abandonne les yeux fermés à l’eau qui, inépuisablement, ouvre les chemins ...

 ... Ainsi, pendant de longues minutes, la barque progresse dans le silence glauque ; en même temps que le soleil, les falaises arrêtent jusqu’au moindre souffle d’air. Au milieu de l’excursion de l'Èvre, ces moments de silence, dans ma mémoire, viennent se poser, comme un long point d’orgue ; ce silence, un doigt sur les lèvres, debout et immobile, et matérialisé à demi au creux de ces étroits pleins de présences païennes, c’est vraiment le "génie du lieu" qui l’impose ...

 La barque s'est amarrée de nouveau à la rive ; l'enclenchement familier du cadenas est comme le fermoir de la journée close, une journée en dehors des jours. Le présent et l'imparfait, inextricablement, se mêlent dans le défilé d'images de cette excursion que j'ai faite vingt fois, que rien ne m'interdirait encore aujourd'hui de refaire ...

 L'interdit qui m'arrête au moment de m'embarquer de nouveau sur l'étroite rivière immobile ne procède pas de la crainte de désenchanter un souvenir. Bien plutôt à l'impuissance où l'on est, sinon de ranimer un rêve, du moins de retrouver dans l'état de veille à la fois sa lumière sans noyau et son rythme, qui ne cesse de changer, sans pour autant entretenir le moindre rapport avec la vitesse et la lenteur ...

 Mais tout ce qui a la couleur du songe est, de nature, prophétique et tourné vers l'avenir, et les charmes qui autrefois m'ouvraient les routes n'auraient plus ni vertu, ni vigueur : aucune de ces images aujourd'hui ne m'assigneraient plus nulle part, et tous les rendez-vous que pourrait me donner encore l'Èvre, il n'est plus de temps maintenant pour moi pour les tenir ...

Julien Gracq ("Les eaux étroites", Éditions José Corti, 1976) - * deux "r" pour le futur : "qu'on allait courir"

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"On écrit d'abord parce que d'autres avant vous ont écrit" - Julien Gracq

Cet autre texte de Julien Gracq n'est pas extrait d'un recueil de poésie, c'est un regard critique autour de l'acte d'écrire, qui revisite les écrivains marquants des deux derniers siècles.

Mais on retrouvera la poésie de l'auteur dans ce passage sur le paysage : 

Qu’est-ce qui nous parle dans un paysage ?

 Quand on a le goût surtout des vastes panoramas, il me semble que c’est d’abord l’étalement dans l’espace – imagé, apéritif – d’un « chemin de la vie », virtuel et varientable, que son étirement au long du temps ne permet d’habitude de se représenter que dans l’abstrait. Un chemin de la vie qui serait en même temps parce qu’éligible, un chemin de plaisir. Tout grand paysage est une invitation à le posséder par la marche ; le genre d'enthousiasme qu'il communique est une ivresse du parcours. Cette zone d'ombre, puis cette nappe de lumière, puis ce versant à descendre, cette rivière guéable, cette maison déjà esseulée sur la colline, ce bois noir à traverser auquel elle s'adosse, et, au fond, tout au fond, cette brume ensoleillée comme une gloire qui est indissolublement à la fois le point de fuite du paysage, l'étape proposée de notre journée, et comme la perspective obscurément prophétisée de notre vie. « Les grands pays muets lentement s’étendront »… mais pourtant ils parlent ; ils parlent confusément, mais puissamment, de ce qui vient, et soudain semble venir de si loin au-devant de nous.
     C’est pourquoi aussi tout ce qui dans la distribution des couleurs, des ombres et des lumières d’un paysage, y fait une part matérielle plus apparente aux indices de l’heure et de la saison, en rend la physionomie plus expressive, parce qu’il y entretisse plus étroitement la liberté liée à l’espace au destin qui se laisse pressentir dans la temporalité. C’est ce qui fait que le paysage minéralisé par l’heure de midi retourne à l’inertie du regard, tandis que le paysage du matin, et plus encore celui du soir, atteignent plus d’une fois à une transparence augurale où, si tout est chemin, tout est aussi pressentiment. Cet engouffrement de l’avenir dans la délinéation, pourtant si ferme et si stable, des traits de la Terre est l’aiguillon d’une pensée déjà à-demi divinatoire, d’une lucidité que la Terre épure et semble tourner toute vers l’avenir : une des singularités de la figure de Moïse dans la Bible, est que le don de clairvoyance semble lié chez lui chaque fois, et comme indissolublement, à l’embrassement par le regard de quelque vaste panorama révélateur.

Julien Gracq ("En lisant, en écrivant", Éditions José Corti, 1980)



Luce Guilbaud, enseignante en arts plastiques, écrivain et poète, est née en 1941.
On trouvera d'autres textes pour la classe dans les catégories rangées par cycles.

Deux ouvrages parmi d'autres : Le dé bleu, ; La petite fille aux yeux bleus.

Ce texte est proposé pour le thème 2011 du paysage, par le site du Printemps des Poètes à l'adresse (à copier-coller) : http://www.printempsdespoetes.com

Arbre au bord de la route ...

Arbre au bord de la route
ami du vent et des oiseaux
arbre silence et musique
tu donnes ton ombre
à celui qui marche sans but
tes fruits tes graines
à celui qui passe avec sa faim et ses mains vides
arbre compagnon de campagne
en sentinelle dans la nuit
tu fais lever le ciel
au bout de ses branches
tu guides le voyageur vers ses rêves.

Luce Guilbaud ("Poèmes du matin au soir",  Éditions Cadex (France) et Écrits des Forges, Québec) 

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Le nuage

Un joli nuage blanc
arrive sur la ville
il joue
entre les toits
entre les tours
entre les flèches
il passe sur les ponts
et se voit gris
dans les reflets de l'eau
il se sent fatigué
il tousse un peu
il se regarde dans les vitrines
il se fait peur
il est devenu noir

le nuage s'en va
lâchant quelques larmes
quelques gouttes de pluie
il va se refaire une santé
à la campagne.

    Luce Guilbaud 

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Une petite maison

Une petite maison de branches
Avec sa porte d’herbes
Et son lit de mousse
Une petite maison dans les bois
Pour cacher ses secrets
Pour inventer le monde.
Une petite maison
Une cabane
Pour être ici
Pour être ailleurs
Dans nos histoires.

Luce Guilbaud ("Une cigale dans la tête" - Éditions Le farfadet bleu/Le dé bleu, 1998) 

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Le vent

Je plains le vent
Le vent se plaint
le vent gémit
le vent souffre quand il souffle
le vent voudrait se reposer
déposer sa douleur
dans le creux d’un rocher
danser avec les mouettes
doucement tranquillement
les emporter sur un nuage
le vent rêve de tendresse
mais il est condamné à hurler
à déchirer les feuilles mortes
à griffer nos visages dans la pluie
ça le met en colère le vent
d’être si méchant !
Alors il s’emporte et devient fou
le vent tornade tempête
sa douleur n’a plus de bornes
il détruit tout sur son passage
puis il s’arrête essoufflé désespéré
dans un lointain désert
et là-bas il s’endort
en rêvant de caresses.
Je plains le vent.

Luce Guilbaud 

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J’étais perdue

J’étais perdue dans la ville
Entre les façades noires
Et les boutiques bariolées
J’étais perdu parmi la foule
J’avais perdu mon nom
Et le chemin de ma maison.
C’est en suivant un pigeon
Puis un couple de personnes
Qu’au détour des violettes
Et du bleu des arbres
J’ai retrouvé mon nom
Et le chemin de ma maison.


Luce Guilbaud

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Je jouais

Je jouais à grimper à l’arc-en-ciel
comme à l’échelle
Sur le jaune
j’ai cueilli des boutons d’or
Sur l’orange
j’ai des clémentines
Sur le rouge
des framboises et des cerises
Plus haut, j’ai respiré les violettes
Dans le bleu
j’ai coupé une fenêtre de ciel
pour voir l’indigo
Et je suis tombé par la fenêtre
sur l’herbe verte.


Luce Guilbaud



15 mai 2009

Corinne ALBAUT - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Corinne Albaut , poète contemporaine, est très présente sur ce blog. Ici par exemple.
Elle écrit, publie, interprète des comptines pour les petits (Collection "Petits bonheurs" chez Actes Sud junior), et anime des ateliers dans les écoles autour de ses textes, ainsi que des débats universitaires. Elle est ausssi, toujours pour la jeunesse, auteure de romans et de pièces de théâtre.

Voir son blog à cette adresse : http://corinnealbaut.free.fr/

Les gratte-ciel

À New York City,
Sam se sent tout petit,
Quand il regarde en l'air,
pour voir un peu de bleu,
il se cogne les yeux
contre le béton et le verre
des gratte-ciel, plantés, serrés
comme des arbres dans la forêt.

Corinne Albaut



15 mai 2009

Jean MORÉAS, Jean-Luc MOREAU - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Jean Moréas (1856-1910), à l'état civil Ioannis Papadiamantopoulos, est un auteur grec d'expression française.
C'est un poète symboliste, qui définit joliment ce genre poétique : "la poésie symbolique cherche à vêtir l'Idée d'une forme sensible... » .
Les Syrtes
composent un très long poème découpé en paragraphes. "La feuille des forêts" en est un passage.

La feuille des forêts

La feuille des forêts
Qui tourne dans la bise
Là-bas, par les guérets,
La feuille des forêts
Qui tourne dans la bise,
Va-t-elle revenir
Verdir* la même tige ?

L'eau claire des ruisseaux
Qui passe claire et vive
A l'ombre des berceaux,
L'eau claire des ruisseaux
Qui passe claire et vive,
Va-t-elle retourner
Baigner* la même rive ?

Jean Moréas ("Les Syrtes - conte d'amour XI", 1884)
* Le tiret (Verdir - la même tige ?... Baigner - la ...) a été supprimé par commodité, on peut le restituer au texte original de Moréas.

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Un autre beau passage sans titre, des "Syrtes" :

Dans l'âtre brûlent les tisons,
les tisons noirs aux flammes roses ;
dehors hurlent les vents moroses,
les vents des vilaines saisons.
Contre les chenets roux de rouille,
mon chat frotte son maigre dos.
En les ramages des rideaux,
on dirait un essaim qui grouille :
c'est le passé, c'est le passé
qui pleure la tendresse morte ;
c'est le bonheur que l'heure emporte
qui chante sur un ton lassé.

Jean Moréas ("Les Syrtes - Remembrances" , 1884)  

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La vallée de la Bièvre a été aussi mise en vers par Jean Moréas, comme par Victor Hugo et d'autres auteurs (voir le paragraphe "Victor Hugo") :

Memento *

La route monte entre des murs et tourne et longe l'enclos planté d'arbres rangés, qui n'ont encore de vert, sinon un peu de mousse.

Allée, platanes
De belle écorce,
Vieux bancs de pierre,
Je vous revois
Dans la lumière
De cette fin
D'hiver bénin.

Dans la vallée
Au creux charmant
La Bièvre coule
Et se déroule
Comme un ruban.

Jean Moréas ("Esquisses et souvenirs", Mercure de France, 1908) * Memento signifie ici Souviens-toi. On pourrait titrer ce texte La Bièvre.

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Permanence de "La lune d'argent", dans les paysages nocturnes de Jean Moréas.

La lune d'argent

Dans l'âtre brûlent les tisons,
Belle lune d'argent, j'aime à te voir briller
Sur les mâts inégaux d'un port plein de paresse,
Et je rêve bien mieux quand ton rayon caresse,
Dans un vieux parc, le marbre où je viens m'appuyer.

J'aime ton jeune éclat et tes beautés fanées,
Tu me plais sur un lac, sur un sable argentin,
Et dans la vaste nuit de la plaine sans fin,
Et dans mon cher Paris, au bout des cheminées.


Jean Moréas ("Les Stances", 1893) 

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Eau printanière, pluie harmonieuse ...

Eau printanière, pluie harmonieuse et douce
Autant qu'une rigole à travers le verger
Et plus que l'arrosoir balancé sur la mousse,
Comme tu prends mon coeur dans ton réseau léger !

À ma fenêtre, ou bien sous le hangar des routes
Où je cherche un abri, de quel bonheur secret
Viens-tu mêler ma peine, et dans tes belles gouttes
Quel est ce souvenir et cet ancien regret ?


Jean Moréas ("Les Stances", 1893) 

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Ô mer immense ...

Ô mer immense, mer aux rumeurs monotones,
Tu berças doucement mes rêves printaniers ;
Ô mer immense, mer perfide aux mariniers,
Sois clémente aux douleurs sages de mes automnes.

Vague qui viens avec des murmures câlins
Te coucher sur la dune où pousse l'herbe amère,
Berce, berce mon cœur comme un enfant sa mère,
Fais-le repu d'azur et d'effluves salins.

Loin des villes, je veux sur les falaises mornes
Secouer la torpeur de mes obsessions,
- Et mes pensers, pareils aux calmes alcyons,
Monteront à travers l'immensité sans bornes
.


Jean Moréas ("Les Syrtes", 1884) 

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Ultime paysage, dans lequel voudrait se fondre l'auteur :

Quand je viendrai m'asseoir dans le vent ...
 
Quand je viendrai m'asseoir dans le vent, dans la nuit,
Au bout du rocher solitaire,
Que je n'entendrai plus, en t'écoutant, le bruit
Que fait mon cœur sur cette terre,
 
Ne te contente pas, Océan, de jeter
Sur mon visage un peu d'écume :
D'un coup de lame alors il te faut m'emporter
Pour dormir dans ton amertume
.


Jean Moréas ("Les Stances", 1893)


Jean-Luc Moreau est né en 1937. Il a publié des histoires et des poèmes pour les enfants et les adolescents, (Sous le masque des mots, Devinettes, Poèmes de la souris verte … ) et des anthologies de poésie contemporaine ou plus classique (Poèmes à saute-mouton, Poèmes de Russie ...). Voir la catégorie POÉSIES PAR THÈME : l'école

Un voyage à travers des paysages variés, avec "l'oncle Octave" :

L'oncle Octave

J'ai bourlingué, dit l'oncle Octave,
De Vancouver à Tamatave,
De ShangaÏ au Cap et jusqu'à
San José de Costa Rica.
Souventes fois je rêve encore
DeTimor et de Travancore,
Mais sachez-le, par-dessus tout
J'aime le Perche et le Poitou.

Jean-Luc Moreau ("L'arbre perché" - éditions Pierre Jean Oswald)



2 janvier 2009

PAYS BASQUE - Langues régionales de France

Paysages d'Europe

Pays Basque 

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Jean-Baptiste Elissamburu (1828-1891), parfois orthographié Elissamburuk ou encore Elizanburu - source des textes : le portail de la poésie basque : http://www.basquepoetry.net et le site : http://www.gaztelua.com/

----- (version originale : Agur Herriari) -----

Salut à mon village ! (passages)

Ahaide delezius huntan bi berset gei tit khantatü,
Ene bizitze mulde gaitza münd'orori deklaratü:
Ihuri sos bat ebatsi gabe ez eskandalik txerkhatü,
Hamar urtheren galeretan nahi ükhen naie sarthü.
[...]
Adio erraiten dereñat, ene alhaba bakhotxa:
Etxen edük-ezan üsatü diñan kundüta,
Küñat küñater eman beria, haurrer Jinkuen kreinta,
Senharraren hun izan eta zaharrak errespeta.

Etxahun, nausi famatia, galdü dük libertatia;
Eta orai dük trixtezia, hareki ezin-bestia,
Hire ixter-begiek aisa goihera die erria:
Amuinan behar dük ebili, edo hartü pelegri bidia.

Izan nüzü Jondane Jaka'n, Erruma'n eta Loreta'n,
Bethi, jente hunen medioz, biz'izan niz ene bidajitan.
Orai ere abiatzen beniz leheneko ber gisatan,
Jinko Jauna, lagünt nezazü ene behar-ordietan.

[...]

Jean-Baptiste Elissamburu, 1862

----- (traduction de Peio Heguy) -----

Salut à mon village ! (passages)

Je vois au loin, je vois la montagne
Derrière laquelle se trouve mon village...
J'entends déjà, quel immense bonheur,
Le doux soupir de la cloche bien aimée !
[...]
En t'écartant de la route, par le flanc de la montagne
Tel un ruban qui glisse le long de la côte,
Tu descends, sentier, tout droit vers la vallée
Mène-moi, sans détour, auprès des miens.

Chêne du bord du chemin, que de fois dans mon enfance,
Le dimanche en revenant de la messe à la maison,
Oui ! Que de fois me suis-je assis, auprès de ma mère,
À l'ombre de tes longues branches !

Et toi, aubépine du fond du jardin,
Tu gardes toujours le lieu de mon enfance,
Pourquoi, comme toi, branche pure,
Ne puis-je passer ma vie là où je suis né ?

[...]

Jean-Baptiste Elissamburu, 1862

------------------------------------------------

La maison, ou le bonheur du paysan  (début)

Voyez-vous le matin
     Lorsque pointe la lumière
     Au sommet d'une colline
     Une maisonnette à façade blanche
     Au milieu de quatre grands chênes ?
     Une petite fontaine à côté,
     Un chien blanc devant la porte,
     C'est là que je vis en paix.

[...]

Jean-Baptiste Elissamburu (cité dans l'ouvrage "Les Basques", de Philippe Veyrin, Arthaud 1975)

----- (texte original en basque) -----

Etxea edo ... laborariaren zoriona

Ikhusten duzu goizean
Argia asten denean
Menditto baten gainean
Etche ttikitto aintzin churi bat
Lau haitz handiren artean ?
Ithurritto bat aldean,
Chakhur churi bat athean,
Han bizi naiz ni bakean.

[...]

Jean-Baptiste Elissamburu



15 mai 2009

HAÏKUS - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

HAÏKUS

Le poème court appelé haïku obéït à certaines règles de construction, voir HAÏKUS - poésies des saisons.
Quelques recueils :

  • Jean-Hugues Malineau : "Petits Haïkus des saisons" (L'école des Loisirs, 1996) et "Trente Haïkus rouges et bleus" (Éditions Pluie d'étoiles, 2000)
  • "Le parfum de la lune" poèmes de Buson Yosa (Éditions Moundarren)
  • "Le mangeur de kakis qui aime les haïkus" poèmes de Shiki (Éditions Moundarren)
  • "Cent-onze Haïku", Matsuo Bashô (Éditions Verdier, 1998, bilingue, traduit du japonais par Joan Titus-Carmel)
  • "Haïkus : Anthologie", Moritake, Onitsura, préfaces de Yves Bonnefoy et Roger Munier
  • "Anthologie du poème court japonais", Corinne Atlan et Zéno Bianu (Poésie/Gallimard, 2002) et également "Haiku du XXe siècle : Le poème court japonais d'aujourd'hui", Corinne Atlan et Zéno Bianu(Poésie/Gallimard, 2007)
  • "Fourmis sans ombres, le livre du haïku",  Maurice Coyaud (Phébus,1999)
  • "Mille poètes, mille poèmes brefs", Michel-François Lavaur (L'arbre à paroles, 1997)
  • Jean-Hugues Malineau et Françoise Naudin, plusieurs titres, dont : "Onze Haïku et un poème, à propos des pivoines" (éditions "Commune Mesure", 1995)

Auteurs québécois :

  • "Chevaucher la lune, anthologie du haïku contemporain en français", 600 haïkus d'auteurs francophones de tous pays, réunis par par André Duhaime, illustrations de Gernot Nebel (couverture) et de Joscelyn Vaillancourt (Éditions David - Canada, 2001).
  • "Les couleurs du vent, haÏkus", Micheline Beaudry (Éditions David - Canada, 2004)
  • "Soleil rouge", "Arbres lumière", Michel Pleau (Éditions David - Canada, 2004 et 2005)
  • "Le sourire de l'épouvantail", "Les saisons de l'épouvantail", Jessica Tremblay (Éditions David - Canada, 2003 et 2004)

Quelques-uns des haïkus qui suivent ont été empruntés ici : http://pages.infinit.net/haiku

Haïkus et poèmes courts modernes
auteurs contemporains de langue française

La rivière
change
de
déshabillé
avec
chaque
tournant

 

----------------------

La pluie
barbouillée
de vent
alla
se laver
les yeux
dans l’étang

----------------------
La lumière
mit la main
dans le sac du soir
et en tira
une étoile.

Malcolm de Chazal (extraits de "Sens magique")

----------------------

Le jeu du soleil
sur le tronc du chêne
le temps d'un bonheur

Guillevic ("Du Domaine")

 

----------------------

Au ciel la lune brille laiteuse
comme une perle
au doigt d’une brune

Jacques Charpentreau

----------------------

brouillard matinal
sur la montagne
un seul arbre

Jessica Tremblay (Québec)

----------------------

Les moutons dans la neige
broutent la vie sauvage
à même le brouillard

Michel-François Lavaur

----------------------

des arbres
les couleurs tombées
s'enfoncent sous la terre

Micheline Beaudry (Québec)

----------------------

Une perle
au doigt du peuplier
pleine lune

Jean-Hugues Malineau

----------------------

À travers les pins
le bleu du ciel
tiré à quatre épingles

Françoise Naudin

----------------------

Dans l'immense plaine
un bouquet d'arbres en fleurs
comme un île au loin

Jean-Claude Touzeil

----------------------

silence
la lune est prise
dans les branche
s

Michel Pleau (Québec)

-----------------------------------------------------

Haïkus traditionnels japonais

paysages

Les montagnes lointaines
se reflètent dans les prunelles
de la libellule

----------------------
Splendide la voie lactée
à travers les déchirures
du mur

Kobayashi Issa  (1763-1828)

----------------------

Jour de bonheur tranquille
le Mont Fuji voilé
dans la pluie brumeuse

Matsuo Bashô (1644-1694)

----------------------

Midi haut perché
À tue-tête
Une alouette et un nuage

Shiki Masaoka (1867-1902)

-----------------------------------------------------

printemps

La fumée
dessine à présent
le premier ciel de l'année

----------------------
Ces fleurs de cerisier
qui tant me ravissaient
ont disparu de la terre

----------------------
Tremblant dans les herbes
des champs
le printemps s'en va

Kobayashi Issa  (1763-1828)

------------------------------------------

Par-dessus la mer
le soleil couchant
dans le filet de la brume

----------------------
Au clair de lune
le prunier blanc redevient
un arbre d'hiver

----------------------
Le halo de la lune
n'est-ce pas le parfum des fleurs de prunier
monté là-haut ?

----------------------
Dans les fleurs tardives du cerisier
le printemps qui s'en va
hésite

Buson Yosa (1716-1784)

-----------------------------------------------------

 

été

Montagnes au loin
où la chaleur du jour
s'en est allée

----------------------

La brise fraîche
emplit le vide ciel
de la rumeur du pin

Uejima Onitsura (1660-1738)

--------------------- 

Cheminant par la vaste lande
les hauts nuages
pèsent sur moi

----------------------

Sous les pluies d'été
le sentier
a disparu

Buson Yosa (1716-1784)

-----------------------------------------------------

 

 automne

Claire lune automnale
les lapins traversent
le lac Suwa

Buson Yosa (1716-1783)

--------------------------------------------

Les herbes se couvrent
d'automne
Je m'assieds

----------------------

Sur une branche morte
repose un corbeau :
soir d'automne !

----------------------

Une rafale de vent
puis les feuilles
se reposent

---------------------- 

Ce chemin
personne ne le prend
que le couchant d'automne

Matsuo Bashô (1644-1694)

--------------------------------------------

Sur la feuille de lotus
la rosée de ce monde
se distord

Kobayashi Issa (1763-1827)

--------------------------------------------

Appuyé contre l'arbre nu
aux rares feuilles
une nuit d'étoiles
----------------------

Comme des chapeaux alignés
des chaînes de montagne
vent d’automne
 

Shiki Masaoka (1867-1902)

-----------------------------------------------------

 hiver

La bruine d'hiver
paisiblement imbibe
les racines du camphrier

----------------------

Dans le clair de lune glacé
de petites pierres
crissent sous les pas

Buson Yosa (1716-1783)

--------------------------------------------

Ces mêmes montagnes
mon père les eut devant les yeux
dans l'isolement de l'hiver

----------------------

Solitude hivernale
ce soir écoutant
la pluie dans la montagne

----------------------
Dans la gelée blanche du sentier
épanoui oublié
un pissenlit

Kobayashi Issa (1763-1827)

--------------------------------------------

Un oiseau s'envole
le vieux cheval tressaille
sur la lande désséchée

----------------------

Une baie rouge
a roulé
sur la gelée blanche du jardin

Shiki Masaoka (1867-1902)

--------------------------------------------

Une nuit, au clair de la lune
l'énorme silhouette du mont Fuji apparaît
Quel froid !

Dakotsu Iida (1885-1962)

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Haïkus contemporains japonais

paysages

Les autoroutes de Tokyo
ressemblent à des intestins
sous la pleine lune

Sei Imai (né en 1950)

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Plage d'Ichiburi
les crêtes des vagues

se cramponnent à la neige.

Mutsuo Takahashi (né en 1937)

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Le soleil fait briller le grand lac
de tout son éclat
jusqu'à ce qu'il le renverse

----------------------

Funérailles du printemps
des arbres s'arrêtent
dans la colline

Goro Wada (né en 1923)


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15 mai 2009

Charles VILDRAC - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Charles Vildrac (1882-1971), a écrit des pièces de théâtre, des contes pour enfants (avec des personnages que de nombreuses générations d'élèves ont forcément rencontré dans les manuels de lecture scolaire, du CE1 au CM2 : Bridinette, 1935 ; Poucette, 1936 ; Amadou le Bouquillon, 1951). C'est également un poète (son premier ouvrage est "Livre d’amour", 1910. Il a présidé le jury du Prix Jeunesse et un prix de poésie porte son nom.

On aimerait que cette "petite maison" ne soit pas seulement le souvenir nostalgique d'une époque révolue :

La petite maison

Sur le versant de la montagne,
À mi-hauteur, on aperçoit
Une petite maison toute seule.
D'ici, elle semble accrochée
À un pan de muraille nue,
Et le soir, on voit sa lumière
Agoniser sous le poids de la nuit.

- Ah ! comment peut-on vivre là ?
T'exclames-tu en frissonnant.
Moi, je ne connais pas l'endroit
Mais je sais bien que la montagne
N'a pas, pour qui gravit ses pentes,
Ce visage fermé qu'on voit de loin.

Moi, je sais bien qu'elle est vêtue
De fenouil, de myrte et de menthe,
De romarin, de lavande et de thym ;
Et que sa cime se recule
À mesure qu'on va vers elle
Et que son flanc parfois se creuse
Offrant un sûr et calme asile.

Je sais qu'il y a un mûrier,
Des amandiers, des pins, des chênes,
Un tapis d'herbe et deux chevrettes
Derrière la petite maison.

Et devant elle, une terrasse
Avec son banc et sa table de pierre
Où des gens, après leur travail,
Dans l'air doré du crépuscule,
Boivent frais le vin de leur vigne.

Charles Vildrac ("Le livre d’amour", Nouvelle Revue Française, 1910 - réédité chez Seghers en partenariat avec les Éditions le Temps des Cerises, 1979)



15 mai 2009

Paul VERLAINE, Anne VERNON, Gabriel VICAIRE - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Paul Verlaine (1844-1896)  est un des poètes français les plus connus. On pourra consulter ici une biographie et une bibliographie détaillées :
http://pagesperso-orange.fr/paul-verlaine/paul-verlaine/

Dans l'interminable ennui de la plaine
 
Dans l'interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.

Comme les nuées
Flottent gris les chênes
Des forêts prochaines
Parmi les buées.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la Lune.

Corneille poussive
Et vous, les loups maigres,
Par ces bises aigres
Quoi donc vous arrive ?

Dans l'interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable
.

Paul Verlaine ("Romances sans paroles", 1874)

----------------------------------------

La lune blanche

La lune blanche
Luit dans les bois
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée...
 
Ô bien-aimée.
 
L'étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure...
 
Rêvons, c'est l'heure.
 
Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l'astre irise...
 
C'est l'heure exquise
.

Paul Verlaine ("La bonne chanson", 1872)

----------------------------------------

Le ciel est par-dessus le toit

Le ciel est, par-dessus le toit,
Si beau, si calme!
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
 
La cloche, dans le ciel qu'on voit,
Doucement tinte,
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit,
Chante sa plainte.
 
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.
 
-Qu'as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?

Paul Verlaine ("Sagesse", 1880)

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Soleils couchants

Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Des soleils couchants.

La mélancolie
Berce de doux chants
Mon coeur qui s'oublie
Aux soleils couchants.

Et d'étranges rêves,
Comme des soleils
Couchants, sur les grèves,
Fantômes vermeils,

Défilent sans trêve,
Défilent, pareils
A de grands soleils
Couchants sur les grèves.

Paul Verlaine ("Poèmes Saturniens", 1866)

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 Clair de lune

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.

Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune,
Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres
.

Paul Verlaine ("Fêtes galantes", 1869)

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L'heure du berger

La lune est rouge au brumeux horizon ;
Dans un brouillard qui danse, la prairie
S'endort fumeuse, et la grenouille crie
Par les joncs verts où circule un frisson ;

Les fleurs des eaux referment leurs corolles ;
Des peupliers profilent aux lointains,
Droits et serrés, leur spectres incertains ;
Vers les buissons errent les lucioles ;

Les chats-huants s'éveillent, et sans bruit
Rament l'air noir avec leurs ailes lourdes,
Et le zénith s'emplit de lueurs sourdes.
Blanche, Vénus émerge, et c'est la Nuit
.

Paul Verlaine ("Poèmes Saturniens", 1866)

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L'ombre des arbres dans la rivière embrumée

L'ombre des arbres dans la rivière embrumée
Meurt comme de la fumée
Tandis qu'en l'air, parmi les ramures réelles,
Se plaignent les tourterelles.

Combien, ô voyageur, ce paysage blême
Te mira blême toi-même,
Et que tristes pleuraient dans les hautes feuillées
Tes espérances noyées !

Paul Verlaine ("Romances sans paroles", 1874)

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Promenade sentimentale

Le couchant dardait ses rayons suprêmes
Et le vent berçait les nénuphars blêmes ;
Les grands nénuphars, entre les roseaux,
Tristement luisaient sur les calmes eaux.
Moi, j’errais tout seul, promenant ma plaie
Au long de l’étang, parmi la saulaie
Où la brume vague évoquait un grand
Fantôme laiteux se désespérant
Et pleurant avec la voix des sarcelles
Qui se rappelaient en battant des ailes
Parmi la saulaie où j’errais tout seul
Promenant ma plaie ; et l’épais linceul
Des ténèbres vint noyer les suprêmes
Rayons du couchant dans ces ondes blêmes
Et les nénuphars, parmi les roseaux,
Les grands nénuphars sur les calmes eaux
.

Paul Verlaine ("Poèmes Saturniens", 1866)



Anne Vernon, poète contemporaine, publie en 2003 son premier recueil, "Eaux-Fortes", illustré par Adeline Lorthios. Ne pensez pas que cet ouvrage est hors de prix en raison de son titre, non, il est de petit format et vendu 6,10 €.

En voici quelques fragments épars, paysages intimes :

 La plage ...

La plage
l'océan la roule sous ses vagues
et s'en retourne, pareil.

Seuls les récifs provoquent au large des remous.

C'est du moins
ce qu'on croit.

Mais que sait-on des pas perdus
que la plage achemine

sous prétexte de ressac
vers les grands fonds,

avec l'infinie lenteur
de qui peut toujours recommencer ?

Elle n'a pas à compter
elle aura toujours assez

pour qu'au moins quelques-uns parviennent

là où l'océan
fait sa mue d'eau limpide.

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)

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Certains jours ...

Certains jours
j'entends
je vois
les odeurs se souviennent de moi.

Je suis l'arbre et le ciel

j'ai des racines qui comprennent
les grouillements obscurs

une écorce pour
les bleus les plus rugueux

des feuilles qui ne craignent pas la chute
elles savent leurs saisons

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)

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Parfois ...

Parfois
plus de traces sur le sable

toutes effacées
surtout les tiennes.

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)

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Mes questions frangent le silence ...

Mes questions frangent le silence
de la plus sûre lumière

Elles font de mon chemin
un arbre
qui ne craint pas
la brûlure de la sève.

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)



Gabriel Vicaire (1848-1900), poète du plaisir de vivre, a passé son enfance dans la Bresse. Il se souvient ici d'un matin de neige dans cette région de l'est de la France :

Matin de neige

Quand j'ouvris ma fenêtre, oh ! quel enchantement !
De la neige partout avec un soleil rose !
Une indicible paix était en toute chose ;
On eût cru voir rêver la Belle au bois dormant.


Gabriel Vicaire ("Émaux Bressans" - 1884 ; et éditions Ferroud, 1929)

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Paysage

Il est charmant ce paysage,
Peu compliqué, mais que veux-tu ?
Ce n'est qu'une mer de feuillage,
Où, timide, à peine surnage
Un tout petit clocher pointu.
Au premier plan, toujours tranquille,
La Saône reluit au matin.
Par instants, de l'herbe immobile
Un bœuf se détache et profile
Ses cornes sur le ciel lointain.
Et moi, distrait à la fenêtre,
Je regarde et n'ose parler.
À quoi je pense ? A rien peut-être.
Je regarde les vaches paître
Et la rivière s'écouler
.


Gabriel Vicaire ("Émaux Bressans" - 1884 ; et éditions Ferroud, 1929)

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La Mer

(passages)

I

Entre les durs rochers qui bordent le ravin
J’ai vu monter au ciel l’éblouissante aurore ;
La face de la mer était d’un bleu divin.

D’une brume idéale enveloppée encore,
La mer ouvre son cœur, indomptable et charmant,
Au soleil matinal dont le feu la colore.

[…]

II

[…]

Au large resplendit le splendide parterre,
Le jardin sans pareil qui s’émaille, au matin,
D’éblouissantes fleurs qu’on ne voit pas sur terre.

Sur des flots de velours, de moire et de satin
Glisse nonchalamment la flotille des fées ;
Leurs rames que j’entends font un bruit argentin.

Elles s’en vont sur l’eau, d’algues vertes coiffées.
Elles vont. Leur gaité s’éparpille dans l’air,
L’odeur de leurs bouquets m’arrive par bouffées.

Plus loin, à l’horizon, les nymphes de la mer
Poussent de joyeux cris sur leurs cavales franches
Et jamais bataillon ne me parut si fer ;

Un flot de verts cheveux leur inonde les hanches,
Une lueur de brume illumine leurs yeux ;
Sur l’azur formidable, elles sont toutes blanches.

Et voici maintenant le rocher merveilleux
D’où, quand la nuit descend, Mary-Morgane chante
Aux matelots perdus son chant délicieux.

Sa voix de pur argent, sa voix qui les enchante
Monte comme un appel au ciel en floraison,
Douce, folle, ironique et quelquefois méchante.

[…]

III

[…]

IV

Ô mer, ô mer, ô mer, coureuse de fortune,
Chercheuse d’infini par delà les grands monts,
Toi que le soleil brûle et que fleurit la lune ;

Belle au front couronné de sombres goémons,
Nous savons le secret de la tendresse brève,
Et tes yeux sont pareils à ceux que nous aimons.

[…]


Gabriel Vicaire ("Au pays des ajoncs", Librairie H. Leclerc, 1901 - publication postume)

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Clairs de lune

(première partie)

I

Ô perle du monde,
Délices des cieux !
Lune aux jolis yeux,
Lune rose et blonde,

Belle au cœur changeant,
Dame de mon rêve,
Dont le vent soulève
Les tresses d’argent,

Par delà les saules
A demi dans l’eau,
Derrière un bouleau
J’ai vu tes épaules,

Dans un halo d’or,
Ta forme hautaine
Apparaît lointaine,
Indécise encor.

Et puis elle passe,
Lente, sur les prés.
Tes cheveux cendrés
Parfument l’espace.

En sa douce fleur,
Ta gorge ressemble
A l’oiseau qui tremble
Devant l’oiseleur.

Où ton doigt se pose,
Frêle papillon,
S’envole un rayon,
S’entr’ouvre une rose.

Ta beauté soudain
Resplendit sans voiles.
Des claires étoiles
Pâlit le jardin.

L’étang qui s’allume
Berce ton corps blanc,
Ton corps nonchalant,
Tout fleuri d’écume.

Est-ce le grand four
Ou la jeune aurore
Qui charme et colore
Les blés d’alentour ?

Ô nuit toute blanche,
Nuit d’enchantements !
De purs diamants
Sont à chaque branche !


Gabriel Vicaire ("L'Heure enchantée" - 1884 ; éditions A Lemerre, 1890)



15 mai 2009

Robert BESSE - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Robert Besse est un poète contemporain des plus discrets. Deux recueils connus : "Poèmes pour un oiseau" et "Noce sous la mer".

Les enseignants et les élèves connaissent de lui ce petit tableau, palette de couleurs :

L’arc-en-ciel

De sa cage de nuages et de pluie
Un bel oiseau s’est évadé
pour se poser sur les doigts du soleil

Bleu indigo violet
Vert jaune orangé rouge

Plus un enfant ne bouge
Le bel oiseau a déployé
Ses plumes sur le ciel

Robert Besse ("Poèmes pour un oiseau", éditions Trace)

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Du recueil "Noce sous la mer", ce court poème, pas dans le thème du paysage, mais si juste...

Le lézard

Le seul bruit de ma voix
délivre le lézard

qui s'était pris les pattes
dans la chaleur.

Robert Besse ("Noce sous la mer", éditions Saint-Germain-des-Prés, 1976)



15 mai 2009

Jacques ROUBAUD, Jean ROUSSELOT, Claude ROY, Marc-Antoine de SAINT-AMANT - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Jacques Roubaud (né en 1932), est un mathématicien-poète (ou poète-mathématicien ?), membre actif de l'OULIPO depuis 1966.
Sur l'OULIPO, voir
dans la catégorie PRINT POÈTES 2009 : L'HUMOUR des poètes la rubrique Raymond Queneau ainsi que d'autres textes de Jacques Roubaud.
La poésie de Jacques Roubaud, très inventive,  obéit à certaines contraintes qui placent(pas toujours, comme ci-dessous, ou dans ses textes "animaux"), les productions en dehors du champ scolaire, du moins pour l'élémentaire et le collège.

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Voici déjà un tableau printanier inhabituel :

Un matin

C'était un beau matin de mai et les oiseaux chantaient délicieusement dans quatre arbres. Les uns chantaient en celte (irlandais, scottish-gaélique, cumbrique, gallois, cornique ou breton) ; les autres en langue romane (oïl, oc, si, catalan, espagnol ou gallego-portugais). Aucun ne chantait en chien. Dans le pin un écureuil lisait le Times. De temps en temps il prenait deux noisettes dans sa bibliothèque, tout en parcourant la rubrique des décès et fiançailles située en première page. Il grignotait l'une et lançait l'autre dans la rivière où un saumon bondissait afin de l'attraper avant qu'elle ne touche l'eau. C'était un moment d'une douceur inexprimable.


Jacques Roubaud

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Rondeau étrange des visages et paysages

La nature a ses visages
Qu'on appelle paysages
Des humains les paysages
Sont ce qu'on appelle visages
On couvre les paysages
De silence et les visages
De nature
Comment rendre les visages
Conformes aux paysages
Et rendre sans paysages
La nature à ses visages ?

Jacques Roubaud ("Rondeaux", Gallimard, Folio-Cadet, 2009) - dans la Poéthèque du Printemps des Poètes 2010 (attention aux quelques erreurs orthographiques ou fautes de frappe dans leur pdf).

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N'aurait-on pas affaire ici à une forme de paysage à portée de plume ?

mettons

mettons de la couleur dans les angles calmes
où le gris d’arche s’étale posément
vérifions le comput des éléments
l’équilibre du dessin et de la trame

contre les bords de chaque page une flamme
souligne de sa fumée, beau condiment
bougie ou filament incandescent griment
les murs du pinceau du stylet du calame

mettons de la permutation dans les lignes
descente des césures vers les débuts
des vers petit à petit circonférences

vers refermés au centre spirale. signes
d’un paraphe-gribouille. le crayon n’eut
besoin que d’un verre d’eau sans incidences

Rome, octobre 2003

Jacques Roubaud ("Churchill 40 et autres sonnets de voyage 2000-2003", Gallimard, 2004)

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Les textes qui suivent, ont été également proposés pour le thème du Printemps des Poètes 2006 ("Le Chant des villes").

Deux paysages parisiens localisés, parmi les vingts (un par arrondissement, le numéro correspond), que Jacques Roubaud a décidé d'appeler sonnets, pas pour la forme en tous cas :

Sonnet II
square de Louvois


Peut-être mille fois en trente ans je me suis
    Assis sur un banc vert dans le square de Louvois
    Le soleil sur les yeux, seul, entouré des bruits
    De fontaines bavant, et traversé de voix.
À l'éblouissement des jets d'eaux j'étais, moi,
    Possesseur du trésor des livres inouï(s)
    Potentiellement convocables(s) depuis
    Les magasins de l'ex-Bibliothèque du Roi.
Saône et Seine et Garonne et Loire, je voyais
    Les quatre nymphes-fleuves aux regards noyés
    Je contemplais leurs seins de bronze allégorique
Puis je retraversais la rue de Richelieu
    Pour rejoindre ma place et, lecteur euphorique,
    Jouir en souverain d'un républicain lieu.

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Sonnet III
(rue de Bretagne)
titre proposé *

   "Cet après-midi là je fus rue de Bretagne
j’ai repensé souvent à cet après-midi"
J’entrai au Prisunic où je pris un caddy
J’y chargeai des sablés, du cidre de Mortagne
   (Mettons). Les gros marchés sont des lieux de cocagne
On y trouve de tout, le beurre et le candy
Le marshmallow vert tendre et le dessous hardi
Pour dames ou messieurs le parfum ou le pagne
   C’était un jour banal d’une époque banale
Il ne s’y passa rien qui mérite mention
Aucun événement à mettre en une annale
   C’était un jour de juin sans complication
Et si je m’en souviens c’est que soudain ces vers
d’Aragon me retraversèrent l’esprit.

* ce sonnet est sans titre, le titre est ici proposé par le blog

Jacques Roubaud ("La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains", chapitre "XX sonnets", Gallimard, 1999)

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"Vos gueules, les mouettes !", c'est le titre d'un film de Robert Dhéry (1974), qui a inspiré ce texte à Roubaud. Il n'est pas avare d'invectives et d'insultes dans ses poèmes sur les animaux, si on veut bien explorer les recueils qu'il leur a consacré ("Les animaux de personne", "Les animaux de tout le monde").

Les mouettes

Le poète s'est rendu au bord de la mer pour y écrire
ses œuvres complètes ; mais voilà, il y a les
mouettes ! le poète parle :

"vos gueules ! vos gueules ! les mouettes!
cessez de brailler dans l'écume
pressez-moi plutôt de vos plumes
pour tremper dans de l'encre violette

Je voulais faire mes œuvres complètes
au bord de la mer, dans les brumes
tout ce que j'ai gagné c'est un rhume
et vos cris me cassent la tête

J'en ai marre de vos gueules de scie
je crache je tousse je m'essuie
le nez avec de vieux kleenex

Je deviens bête grognon et sourd
mais comme j'ai une rime en "ex"
*
je vais prendre le train de retour"

Et ainsi le poète est revenu à Paris, après avoir
composé le poème aux mouettes que vous venez
de lire.

*Grâce à un vieil indicateur de chemins de fer qu'on appelle
Chaix.


Jacques Roubaud ("Les animaux de tout le monde", éditions Ramsay 1983  - Poèmes illustrés par Marie Borel et Jean-Yves Cousseau, collection "Volubile" Seghers, 1991, édité en collection "Jeunesse", Seghers, 2004)



Jean Rousselot (1913-2004) a publié, à partir de 1934 de très nombreux recueils de poésie et des anthologies pour la collection "Poètes d'Aujourd'hui" de Pierre Seghers. Il est également l'auteur d'un Dictionnaire de la Poésie Française contemporaine (en 1962) et d'une Histoire de la poésie française en 1976.
On trouvera dans la catégorie hiver, un joli texte sur la neige.

 On n'est pas n'importe qui

Quand tu rencontres un arbre dans la rue,
dis-lui bonjour sans attendre qu'il te salue.
C'est distrait, les arbres.
Si c'est un vieux, dis-lui "Monsieur".
De toutes façons, appelle-le par son nom :
Chêne, Bouleau, Sapin, Tilleul...
Il y sera sensible.
Au besoin aide-le à traverser.
Les arbres, ça n'est pas encore habitué à toutes ces autos.
Même chose avec les fleurs, les oiseaux, les poissons :
appelle-les par leur nom de famille.
On n'est pas n'importe qui !
Si tu veux être tout à fait gentil, dis "Madame la Rose" à l'églantine ;
on oublie un peu trop qu'elle y a droit.

Jean Rousselot ("Petits poèmes pour coeurs pas cuits" - éditions Editions St- Germain-des-Prés, 1979)

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Pas de vacances

Si vous croyez que ça m'amuse
Dit la mer
D'avoir toujours à me refaire
- Un point à l'endroit, un point à l'envers
- Un pas en avant, un pas en arrière

Moi qui aimerais tant aller cueillir des coings
À Tourcoing
Me bronzer dans la neige
À Megève

Hélas pas moyen de fermer boutique
J'ai trop de sprats j'ai trop de pra-
Trop de pratiques

Mais comme elle a des cailloux plein la bouche
Personne ne comprend rien
À ce que raconte la mer.

Jean Rousselot (dans l'anthologie de Jacques Charpentreau, "La nouvelle guirlande de Julie" - éditions Ouvrières, 1976)



Claude Roy (1915-1997), poète français, est au rendez-vous des catégories pour la classe (Le chat blanc - Chevaux : trois ; oiseau : un - J'ai trouvé dans mes cheveux - Les corridors où dort Anne qu'on adore - Le soleil dit bonjour), dans la catégorie PRINT POÈTES 2009 : L'HUMOUR des poètes, et depuis l'an dernier, dans la catégorie PRINT POÈTES 2010 : LE FÉMININ EN POÉSIE

... Le poète n'est pas celui qui dit Je n'y suis pour personne
Le poète dit J'y suis pour tout le monde ...

Extrait du poème, dont le texte est parmi d'autres sur le blog : "Jamais je ne pourrai" ("Les Circonstances", Éditions Gallimard - 1970)

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Certains des textes qui suivent étaient donc déjà présents sur ce blog, d'autres non :

Météorologie

L'oiseau vêtu de noir et vert
m'a apporté un papier vert
qui prévoit le temps qu'il va faire.
Le printemps a de belles manières.
L'oiseau vêtu de noir et de blond
m'a apporté un papier blond
qui fait bourdonner les frelons.
L'été sera brûlant et long.
L'oiseau vêtu de noir et et jaune
m'a apporté un papier jaune
qui sent la forêt en automne.
L'oiseau vêtu de noir et blanc
m'a apporté un flocon blanc.

L'oiseau du temps que m'apportera-t-il ?

Claude Roy

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L'enfant qui battait la campagne

Vous me copierez deux cents fois le verbe:
Je n'écoute pas. Je bats la campagne,

Je bats la campagne, tu bats la campagne,
Il bat la campagne à coups de bâton.

La campagne ? Pourquoi la battre ?
Elle ne m'a jamais rien fait.

C'est ma seule amie, la campagne,
Je baye aux corneilles, je cours la campagne.

Il ne faut jamais battre la campagne :
on pourrait casser un nid et ses oeufs.

On pourrait briser un iris, une herbe,
On pourrait fêler le cristal de l'eau.

Je n'écouterai pas la leçon.
Je ne battrai pas la campagne.

Claude Roy ("Enfantasques" Gallimard, 1974 et 1993 Folio Junior) 

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La clef des champs

Qui a volé la clef des champs ?
La pie voleuse ou le geai bleu ?
Qui a perdu la clef des champs ?
La marmotte ou le hoche-queue ?
Qui a trouvé la clef des champs ?
Le lièvre vert ? Le renard roux ?
Qui a gardé la clef des champs ?
Le chat, la belette ou le loup ?
Qui a rangé la clef des champs ?
La couleuvre ou le hérisson ?
Qui a paumé la clef des champs ?
La musaraigne ou le pinson ?
Qui a mangé la clef des champs ?
Ce n'est pas moi. Ce n'est pas vous.
Elle est à personne et partout,
La clé des champs, la clef de tout.

Claude Roy

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Voici une réhabilitation de l'étourneau, cet animal trop souvent sujet de moquerie chez les humains :

Étourdis étourneaux

Les étourneaux
sont étourdis.
On le dit.

Ils font des tours
et des détours
et ils rient.

Les étourneaux
n'ont pas de tête.
On le dit.

Mais ils sont gais,
les étourneaux,
légers là-haut !

Ils font dans le ciel
des anneaux,
des anneaux gais à tire-d'aile
les étourneaux.

Claude Roy ("La cour de récréation" - Éditions Gallimard)

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Texte proposé pour ce thème 2011 du paysage, par le site du Printemps des Poètes à l'adresse (à copier-coller) : http://www.printempsdespoetes.com

Les quatre éléments

L'air c'est rafraîchissant
le feu c'est dévorant
la terre c'est tournant
l'eau – c'est tout différent.
L'air c'est toujours du vent
le feu c'est toujours bougeant
la terre c'est toujours vivant
l'eau – c'est tout différent.
L'air c'est toujours changeant
le feu c'est toujours mangeant
la terre c'est toujours germant
l'eau – c'est tout différent.
Et combien davantage encore ces drôles
d'hommes
espèces de vivants
qui ne se croient jamais dans leur vrai
élément.

Claude Roy ("Enfantasques" Gallimard, 1974 et 1993 Folio Junior) 



Marc-Antoine de Saint-Amant (1594-1661), ou Marc-Antoine Girard de Saint-Amant (ajout emprunté au nom de l'abbaye proche de Rouen, sa ville de naissance), est un poète "libre", bon-vivant (ce qui lui a valu le qualificatif de poète "libertin"). Sa poésie est parfois humoristique, voire burlesque, et parfois tournée vers la Nature.

"Les Œuvres" (1629) est son premier recueil, et les suivants portent simplement le même titre. L'ensemble de ses poèmes a été réuni en deux tomes dans "Œuvres complètes de Saint-Amant", éditions Livet, 1855, et plus récemment dans "Œuvres" (Kraus Reprint, Nendeln, 1972).

Sa poésie y est ainsi présentée : "Poèmes bachiques, chants à boire, alternent dans l’œuvre de Saint-Amant, avec des odes précieuses consacrées à une solitude fantasque et dolente : les deux faces peut-être d’une même inspi­ration aventureuse vaguant des hôtels aristocratiques aux lieux de débauche de leurs soubassements"...

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On retiendra de lui, pour le Printemps des Poètes 2011, ce paysage des Canaries, où quand même éclate le bonheur de vivre dans une Nature généreuse :

L'automne des Canaries
 
Voici les seuls coteaux, voici les seuls vallons
Où Bacchus et Pomone ont établi leur gloire ;
Jamais le riche honneur de ce beau territoire
Ne ressentit l’effort des rudes aquilons.

Les figues, les muscats, les pêches, les melons
Y couronnent ce dieu qui se délecte à boire ;
Et les nobles palmiers, sacrés à la victoire,
S’y courbent sous des fruits qu’au miel nous égalons.

Les cannes au doux suc, non dans les marécages
Mais sur des flancs de roche, y forment des bocages
Dont l’or plein d’ambroisie éclate et monte aux cieux.

L’orange en même jour y mûrit et boutonne,
Et durant tous les mois on peut voir en ces lieux
Le printemps et l’été confondus en l’automne.

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en version originale : 

L'autonne des Canaries

Voycy les seuls côtaux, voycy les seuls valons
Où Bacchus et Pomone ont estably leur gloire ;
Jamais le riche honneur de ce beau territoire
Ne ressentit l'effort des rudes aquilons.

Les figues, les muscas, les pesches, les melons
Y couronnent ce dieu qui se delecte à boire
Et les nobles palmiers, sacrez à la victoire,
S'y courbent sous des fruits qu'au miel nous esgalons.

Les cannes au doux suc, non dans les marescages,
Mais sur des flancs de roche, y forment des boccages
Dont l'or plein d'ambroisie eclatte et monte aux cieux.

L'orange en mesme jour y meurit et boutonne,
Et durant tous les mois on peut voir en ces lieux
Le printemps et l'esté confondus en l'autonne.

Marc-Antoine de Saint-Amant (dans"Œuvres complètes")



15 mai 2009

Georges MOUSTAKI - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Georges Moustaki, né en 1934 , est un parolier-poète, auteur compositeur interprète à qui on doit de beaux textes : "Milord", "Eden blues", pour Edith Piaf, "La Dame brune" avec Barbara, "Ma liberté", "Ma solitude", "Grand-père"... Voici son Île de France :

Deux suggestions pour l'utilisation de ce texte dans les classes élémentaires :

  • ne proposer aux élèves que les 4 premières strophes
  • Pour la construction poétique différente de celle d'une chanson, garder "Mon" dans la première strophe, et le remplacer par "En" dans les trois suivantes.

Avec nos excuses à Georges Moustaki.

Mon Île de France

Elle n'est même pas au bout du monde
On n'y va pas chercher de l'or
Il n'y a pas de plages blondes
Ce n'est pas une île au trésor
Mon île de France

Elle n'est pas dans le Pacifique
Ni dans aucun autre océan
On peut y aller en péniche
Ou bien couper à travers champs
Mon* île de France

Il n'y a pas de sortilège
Qui vous ensorcelle le cœur
L'hiver il tombe de la neige
Le printemps ramène les fleurs
Mon* île de France

Lorsque le vent pousse ma voile
Sur les vagues des champs de blé
Je m'arrête pour une escale
A l'ombre de ses marronniers
Mon* île de France

Là sur un rivage de mousse
L'aventure au bout du sentier
M'offre une fille à la peau douce
Et un coin d'herbe pour aimer
Mon* île de France

Adieu Tahiti, Fort-de-France
Adieu Doudou et Vahiné
Qu'elle est douce ma douce France
Depuis que je l'ai rencontrée
Mon île de France

Elle n'est même pas au bout du monde
On n'y va pas chercher de l'or
Il n'y a pas de plages blondes
Ce n'est pas une île au trésor
Mon île de France

Georges Moustaki (Ducretet-Thomson, 1962) - * On suggère de remplacer "Mon" par "En"...



2 janvier 2009

Poètes d'AMÉRIQUE du NORD - États-Unis

Paysages des poètes d'Amérique

Amérique du Nord - États-Unis 

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Emily Dickinson (1830-1886) est une des plus importantes poètes des États-Unis d'Amérique.

"Je donnerais tous les poètes pour Emily Dickinson".
Cioran

Je reviens du Ciel

Je reviens du Ciel.
C'est un village ;
Pour lampe, un rubis ;
Du coton pour lattes.

Calme - plus qu'un champ
Au fort de la rosée ;
Plus beau qu'une image
Inventée par l'homme.
Les gens, tels des phalènes,
Etaient faits de dentelle ;
De gaze étaient leurs devoirs,
Et leur nom, de duvet.
Contente - ou presque,
Je pourrais être
En compagnie
Si singulière.

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I went to Heaven

I went to Heaven –
‘Twas a small Town –
Lit – with a Ruby –
Lathed – with Down –

Stiller – than the fields
At the full Dew –
Beautiful – as Pictures –
No Man drew.
People – like the Moth –
Of Mechlin – frames –
Duties – of Gossamer.
And Eider – names –
Almost – contented
I – could be –
‘Mong such unique
Society –

Emily Dickinson

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 Walt Whitman (1819-1892) est un poète des Etats-Unis d'Amérique. Leaves of Grass ("Feuilles d'herbe"), qu'il a publié à compte d'auteur, avant que d'autres éditeurs ne l'acceptent, est son recueil de poèmes le plus représentatif.

"Qui dégrade autrui me dégrade ;
Et rien ne se dit ou se fait qui ne retourne enfin à moi."

"Whoever degrades another degrades me ;
And whatever is done or said returns at last to me."

(Feuilles d'herbes - Leaves of Grass)

Salut au Monde !

Et voici les marins du monde,
Les uns au milieu des tempêtes, d'autres dans la nuit avec le quart en veille,
D'autres en train de dériver sans merci, d'autres atteints de maladies contagieuses.
Voici les navires à voile et à vapeur du monde, les uns uns groupés dans les ports, d'autres en cours de traversée.
D'autres doublent le cap des tempêtes, d'autres le Cap Vert, d'autres les caps Gardafui, Bon ou Bojador
D'autres la pointe de Dondrah,
D'autres le cap Horn, d'autres voguent sur le golfe du Mexique ou le long de Cuba ou Haïti, d'autres sur la baie d'Hudson ou la baie de Baffin,
D'autres franchissent le Pas de Calais, d'autres entrent dans le Wash, d'autres dans le golfe de Solway, d'autres font le tour du cap Clear, d'autres du cap Land's End.
D'autres traversent le Zuyderzée ou l'Escaut,
D'autres touchent et quittent Gibraltar et aux Dardanelles,
D'autres se fraient rigoureusement leur route à travers les banquises du nord.
D'autres descendent l'Obi ou la Léna,
D'autres le Niger ou le Congo, d'autres l'Indus, le Brahmapoutre et le Mékong.
D'autres attendent sous pression prêts à partir dans les ports d'Australie.
Attendent à Liverpool, Glasgow, Dublin, Marseille, Lisbonne, Naples, Hambourg, Brême, Bordeaux, La Haye, Copenhague,
Attendent à Valparaiso, Rio de Janeiro, Panama.

Walt Whitman ("Feuilles d'herbes")

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Wallace Stevens (1879-1955) a publié son premier livre, Harmonium, en 1923. Prix Pulitzer en 1955.

Bonhomme de neige

Il faut posséder un esprit d’hiver
Pour regarder le gel et les branches
Des pins sous leur croûte de neige ;

Avoir eu froid pendant longtemps
Pour contempler les genévriers hérissés de glace,
Les épicéas, bruts dans l’éclat lointain

Du soleil de janvier ; et ne pas imaginer
De détresse aucune dans le bruit du vent,
Le bruit d’une poignée de feuilles,

Qui est le bruit de l’étendue
Emplie du même vent
Soufflant dans le même lieu nu

Pour qui écoute, écoute dans la neige,
Et, n’étant rien lui-même, ne contemple
Rien qui ne soit là et le rien qui est.

(traduction de Claire Malroux)

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texte original :

The snow Man

One must have a mind of winter
To regard the frost and the boughs
Of the pine-trees crusted with snow;

And have been cold a long time
To behold the junipers shagged with ice,
The spruces rough in the distant glitter

Of the January sun; and not to think
Of any misery in the sound of the wind,
In the sound of a few leaves,

Which is the sound of the land
Full of the same wind
That is blowing in the same bare place

For the listener, who listens in the snow,
And, nothing himself, beholds
Nothing that is not there and the nothing that is.

Wallace Stevens, ("Harmonium" - Éditions Corti, 2002)



1 novembre 2009

Seghers (Colette) - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Colette Seghers -

Colette Seghers (contemporaine). Moins connue que Pierre Seghers, son époux disparu, éditeur et poète, elle a plus mis en avant les textes de son mari, pour qui a écrit deux biographies ("Pierre Seghers, un homme couvert de noms" et "Nous étions de passage"), que ses propres poésies, un recueil sous son nom de jeune fille, Colette Peugniez ("Lointains") et plus tard, "10 poèmes pour un bébé" et "Dans l'estuaire des lendemains". Elle est aussi auteure de nouvelles et de romans " Martin Hanson", "Sarah Cortez" et "Belle ou l’Envers du temps". source (en partie) : site des éditions Seghers.

Berceuse pour Virginie

Dors, ma fille, ma gazelle,
ma rose du Doued et de la Laponie,
mon fruit d'Asie, ma tourterelle,
la nuit chantonne "Virginie ..."
Dors mon jasmin, mon Bagatelle,
mon poisson d'or, ma symphonie,
une étoile ouvre son ombrelle
sur le berceau de Virginie.

Dors mon oiseau, ma belle abeille
mon bébé de songe et de vie,
j'entends les chevaux du sommeil
attelés de rêve et de bruit.

Mon opéra, mon arabesque,
mon air de fable et d'infini
j'entends chanter au vent de sable
un air de fées pour Virginie.

Colette Seghers ("Dix poèmes pour un bébé" - Seghers, 1969)

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Ses yeux

ses yeux sont pleins de lunes tranquilles
ses yeux sont pleins de malles perdues
par des corsaires aux fonds des creux marins !
ses yeux quand le sable est mouillé
qu'il y neige des mouettes,
que la terre est brûlée et que la nuit s'y jette
voilà ses yeux de nouveau-né !
Elle a des yeux de perce-neige et de poème hindou,
elle a parfois des yeux de prétentaine
qui rendent bleu l'oeil andalou,
elle a parfois des yeux pleins de lanternes,
des yeux de filets posés, de vol de nuit,
des yeux de charme, de devineresse
des yeux de certitude et de guerrier,
elle a des yeux de plomb pour amarrer les fées !

Colette Seghers ("Dix poèmes pour un bébé" - Seghers, 1969)



1 novembre 2009

Sand - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- George Sand -

George Sand (1804-1876). Son oeuvre littéraire, poésies, romans, contes, pièces de théâtre, critiques et nouvelles est considérable. Femme émancipée pour son époque, elle a entretenu une relation (pas seulement épistolmaire) avec le poète Alfred de Musset et le musicien Frédéric Chopin. Elle s'engage politiquement et socialement dans les luttes populaires contre la monarchie.

Sur le thème "ENFANCES", un message poétique de l'auteure à sa petite-fille

À Aurore*

La nature est tout ce qu’on voit,
Tout ce qu’on veut, tout ce qu’on aime.
Tout ce qu’on sait, tout ce qu’on croit,
Tout ce que l’on sent en soi-même.
Elle est belle pour qui la voit,
Elle est bonne à celui qui l’aime,
Elle est juste quand on y croit
Et qu’on la respecte en soi-même.
Regarde le ciel, il te voit,
Embrasse la terre, elle t’aime.
La vérité c’est ce qu’on croit
En la nature c’est toi-même.

George Sand   -   *Aurore est la petite fille de George Sand.



1 novembre 2009

Krysinska, L'Anselme - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Marie Krysinska -

Marie Krysinska (1864-1908) "devient la seule femme membre actif des cercles littéraires des Zutistes, des « Hirsutes » et des « Jemenfoutistes » qui se réunissaient au cabaret du Chat noir. Elle accompagne au piano les chansons et les poèmes qu'on y déclame. Dès la première année de parution de La Revue du Chat noir, elle y publie ses propres poèmes." (source Wikipédia)

"Marie Krysinska fut peut-être chronologiquement la première à faire publier des vers libres, aux alentours de 1882 et 1883" ... (source : "Naissance du vers libre" - Mémoire de Master I - Université Stendhal (Grenoble III)– Lettres et Arts, présenté par Sabine Garcia en juin 2009)

Marion

                       À Steinlen

Marion cueille des fleurs dans les prés
Et les fleurs la voyant si belle
— C’est notre sœur — disent-elles ;
Ah ! Ah !
Marion va promener au bois
Et les oiseaux l’entendant chanter
Se taisent pour l’écouter ;
Ah ! Ah !
Marion rencontre un chevalier
Qui prend son cœur tout entier
Et puis s’en va.
Ah ! Ah !
Maintenant le joli bois est muet
Et se fanent les fleurs dans les prés
À voir Marion pleurer.
Ah ! Ah !

Marie Krysinska ("Nouveaux Rythmes pittoresques", Chansons - Alphonse Lemerre, 1894)



- Jean L'Anselme -

Jean L'Anselme, nom d'auteur de Jean-Marc Minotte (1919- 30 décembre 2011) est un poète vivant, comme on l'écrivait ici. Mais il a disparu physiquement de notre horizon l'avant-dernier jour de 2011.

Il demeure un poète atypique, comme on le dit parfois des auteurs qui déconcertent, qui n'entrent pas dans les catégories normalisées.

Merci au visiteur de lieucommun qui nous permet de rectifier, hélas, vraiment à contre-cœur, la biographie de Jean L'Anselme, et qui nous signale le  témoignage du fils de l'auteur sur Poezibao (en lire sur le site l'intégralité) :

" ...dans « L’Anselme à tous vents », il disait préférer au saule de Musset « une bière bien fraîche, avec beaucoup de mousse… autour ». Par une ultime pirouette d’humour noir, ils nous a quittés vendredi… la veille de son 92ème anniversaire !"

Quelques titres d'ouvrages de Jean L'Anselme, tous parus aux éditions Rougerie :
Ça ne casse pas trois pattes à un canard et après (2005) ; La chasse d'eau, les poèmes cons, manifeste suivi d'exemples, Le ris de veau (1995) ; Pensées et proverbes de Maxime Dicton, banalités, bêtises, paradoxes, balivernes, lieux communs et autres propos sérieux de l'auteur (1991).

Voici un passage à lire aux élèves :
"...On ne naît pas poète, on naît comme on est, c'est-à-dire comme tout le monde. N'importe qui peut être poète, je suis moi-même n'importe qui. Il n'y a d'ailleurs pas d'école où on enseigne la poésie pour en ressortir avec un CAP alors que, dans les autres domaines de l'art, il existe des conservatoires et des académies. C'est une réalité à laquelle on ne songe guère. Nous sommes donc des millions de poètes comme toi. Souvent sans le savoir ..."
et il termine presque par ceci : "À présent oublie tout ce que je viens de te dire et n'écoute pas les autres..."

Jean L'Anselme - Conseils à un jeune poète (éditorial du n° 13 de la revue Poésie Première, à lire intégralement ici : http://poesiepremiere.free.fr/Lanselme.html).

Quelques facettes de l'humour grinçant, noir ou loufoque de l'auteur :

Art poétique

Vingt fois sur le métier
dépolissez l'ouvrage,
un vers trop poli
ne peut pas être...au net.
Méfiez-vous des vers luisants !
Faites du vers dépoli
votre vers cathédrale.
un poème au pied bot
ne peut être que bancal.

Jean L'Anselme (Vers dépolis, dans le recueil "La Foire à la ferraille" - Éditeurs Français Réunis, 1974)

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Congés payés

Moi dit la cathédrale je voudrais être coureur à pied pour
pouvoir lâcher mes béquilles
Moi dit le pont je voudrais être suspendu pour pouvoir sauter
A la corde
Moi dit l’imagination je voudrais être riche pour pouvoir
emmener L’Anselme en vacances
Moi dit la Seine je voudrais être mer pour avoir des enfants
qui jouent dans le sable

Jean L'Anselme ("Il fera beau demain" - Éditions Caractères / Imprimerie de poètes, 1952)

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Le guépard

Le guépard est une magnifique bête de l'espèce des félidés. Mais, à l'encontre des animaux de cette famille, il ne possède pas des griffes mais des ongles, comme le chien.
Sa course est superbe; c'est un spectacle inoubliable mais fort rare car généralement on court devant.

Jean L'Anselme (Vers dépolis, dans le recueil "La Foire à la ferraille" - Éditeurs Français Réunis, 1974 et dans "La nouvelle guirlande de Julie", anthologie de Jacques Charpentreau, - Éditions Ouvrières, 1976)

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Impératifs

Le poulet, une fois cuit, réclame d'être mangé sur-le-champ.
Le veau ne souffre pas d'être consommé cru, le cheval en revanche le tolère.
Le lapin demande à être écorché vif ; le lièvre préfère attendre.
Le homard exige d'être plongé vivant dans l'eau bouillante.
Et nous, plus bêtes que les bêtes, comme toujours, nous nous laissons faire par tout le monde.

Jean L'Anselme (Vers dépolis, dans le recueil "La Foire à la ferraille" - Éditeurs Français Réunis, 1974)

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Un poète (titre suggéré)

- Mais qu’est-ce qu’un poète ?
- C’est quelqu’un qui ne passe jamais à la télévision parce qu’il n’est pas connu.
- Et pourquoi n’est-il pas connu ?
- Parce qu’il ne passe jamais à la télévision.

Jean L'Anselme

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Monsieur X *

C'était un vieux hibou
affreux comme un pou
avec son caillou
nu comme mon genou.

Mais comme il était chou
quand il faisait joujou
avec son chien Bijou !

Jean L'Anselme

* devinette pour les élèves : pourquoi Monsieur "X" ?

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L'éclair au chocolat

Dans l'éclair au chocolat
ce qui est sur le dessus
et ce qui est à l'intérieur
ça n'a pas la même couleur.
Le dessus ressemble à du chocolat
Mais pas le dedans.
On est aussi souvent chocolat
avec les gens qu'on ne connaît pas.

Jean L'Anselme (dans l'anthologie de Jacques Charpentreau, "La poésie comme elle s'écrit" - Éditions Ouvrières, 1979)

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La Darne de Lieu

J'ai déjà pêché l'ablette et l'épinoche, mais jamais la Darne de Lieu. On m'en apporte pourtant sur mon assiette. La Darne de Lieu est un poisson curieux, plat pour le genre mais épais, plutôt rond de forme avec de la peau sur la tranche et non sur le desus et le dessous. Il possède une arête centrale rayonnante. Plus bizarre encore, il n'a ni tête ni queue apparentes. Malgré son nom ce n'est pas, à ce qu"on dit, un poisson noble. Comment peuvent-ils donc, en pêche sous-marine, distinguer cela d'un bifteck ?

Jean L'Anselme ("Très cher Onésime Dupan de Limouse" - éditions Rougerie, 1966)



1 novembre 2009

Gérard, Gevers - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Rosemonde Gérard -

Rosemonde Gérard (1871-1953), épouse d'Edmond Rostand, l'auteur de Cyrano de Bergerac, est la mère du grand biologiste et écrivain Jean Rostand. Elle a écrit des pièces de théâtre et des poèmes, dont le recueil "Les pipeaux". Le  premier ci-dessous est connu de bien d'écoliers :

Bonne année !

Bonne année à toutes les choses :
Au monde ! À la mer ! Aux forêts !
Bonne année à toutes les roses
Que l’hiver prépare en secret.

Bonne année à tous ceux qui m’aiment
Et qui m’entendent ici-bas …
Et bonne année aussi, quand même
À tous ceux qui ne m'aiment pas !

Rosemonde Gérard ("Les pipeaux" éditions Lemerre, 1889 - Fasquelle éditeur, 1923)

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Le texte qui suit est dédié à Sabine Sicaud (1913-1928), enfant poète d'exception, disparue à l'âge de 15 ans :

Sabine Sicaud

Douze ans... Une petite fille...
Un jardin... du soleil... des fleurs...
Et chaque instant léger qui brille
Semble rimer avec bonheur.

L'oiseau vient boire à la fontaine...
Le soir s'endort sur un glaïeul...
La poupée, oubliée à peine,
Reste encor là sur un fauteuil...

Et, pris par une âme charmante
Qui palpite avec l'univers,
Les fleurs, les animaux, les plantes
Viennent d'eux-mêmes dans les vers.

Treize ans... Sur la nature tendre,
Elle penche son coeur tremblant...
Mais pourquoi veut-elle comprendre
Tant de choses déjà ?... Treize ans...

Pourquoi cette angoisse si forte
Pour tout ce qui meurt dans les bois ?
Le fruit tombé... la feuille morte...
Est-ce un pressentiment ?... Pourquoi

Interroge-t-elle les choses
Avec des mots illimités ?
Croit-elle un instant que les roses
Lui répondront la vérité ?...

Quinze ans... l'âge de Juliette...
L'âge où l'amour est sans péché...
Pauvre petite âme inquiète,
Sens-tu comme une ombre approcher ?

Tu t'éloignes de la nature
Qui trembla si près de ton coeur...
Et pourtant ta courte aventure
Ressemble à celle de ses fleurs...

Ainsi qu'une fleur infinie
Sous un soleil trop épuisant,
Brûlée à ton propre génie,
Tu meurs !... et tu n'as que quinze ans !

Rosemonde Gérard ("Les Muses françaises", éditions Charpentier, 1943)



- Marie Gevers -

Marie Gevers (1883-1975) est une romancière et poète belge.

Chanson pour apprendre aux cinq sens à aimer la pluie

Il pleut des résilles d’argent :
Vois, la tintante joie
De l’étang aux roseaux penchants,
Où le jardin se noie.

La saveur d’air des champignons,
Cueillis dans les prairies,
Dans le brouillard du matin fond
En savoureuse pluie.

Sur le toit écoute couler
Les gouttes et bruire
De tuile en tuile les colliers
De perles de leur rire.

Respire le parfum moisi
Et tiède de la terre
Où des bulles glissent ainsi
Que des ronds de lumière.

Ouvre les paumes de tes mains
Pour recueillir l’ondée,
En t’imaginant que tu tiens
Les cheveux des nuées.

Et tâche d’être alors à la fois,
Dans le frais paysage,
L’étang, les champignons, le toit,
La terre et les nuages.
 

Marie Gevers ("Missembourg" - Buschmann, 1917)

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Les poèmes du recueil "Antoinette" sont dédiés à sa fille :

Repas du matin

Dans ce lait où fleurit le printemps des prairies,
Et le sucre où l'hiver des betteraves brille,
dans le pain qui concentre les moissons d'été,
Et dans la confiture où la maturité
De l'automne à ta bouche joyeuse est donnée,

Trouve la saveur des journées
Et la joie diverse des mois
Qui nous amènent trois par trois
Les saisons dont la belle ronde
Sans cesse tourne autour du monde.
 

Marie Gevers ("Antoinette" - Buschmann éditeur, 1925)



1 novembre 2009

Prassinos, Le Quintrec - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

Gisèle Prassinos, née en 1920, est écrivaine, poète et artiste peintre, tout ça au féminin très singulier, marqué de surréalisme.

Dans tes yeux il y a la mer

Dans tes yeux il y a la mer.

Sur la mer il y a la tempête.

Dans la tempête : une barque.

Dans la barque : une petite fille.

Dans la petite fille il y a ton enfant

et je vais me noyer maman

si tu ne cesses de gronder.

Gisèle Prassinos

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La neige

Il paraît que le ciel et la terre
vont se marier.
Avant l’aube le fiancé
sur sa fille
a jeté son voile de mousse
lentement et sans bruit
pour ne pas l’éveiller.

Elle sommeille encore il est tôt
mais déjà exaltés
impatients d’aller à la noce
les arbres ont mis leur gants
par milliers
et les maisons leurs chapeaux blancs.

Gisèle Prassinos ("Le ciel et la terre se marient" - Éditions ouvrières, 1979)

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La montre

Lunaire blonde innocente
La montre

Moins que compagne
Plus qu'objet
Cœur sans amour
Elle effectue ses exercices d'angles.

Gisèle Prassinos ("Les mots endormis" - Éditions Flammarion, 1967)

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Qu'est-ce qu'un chat ?

Qu'est-ce qu'un chat ?
C'est un roi
Un soir de gala
En tournure
De fourrure.

Gisèle Prassinos (dans "Il était une fois les animaux" - anthologie de Jean-Hugues Malineau - éditions Messidor - La Farandole, 1989)

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Deux recettes, en forme de comptines "pour fillottes et garcelons" :

Recette

Mets le rat dans un plat
La souris dans le riz
Le moineau dans le seau
La grenouille dans la rouille
Et touille !

Gisèle Prassinos

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Comptine pour enfant pas sage

Pour faire un oisillon
Prenez du saucisson
Un morceau pour le dos
Pour le bec un coup sec
Deux rondelles pour les ailes
Pour la queue trois cheveux

Pour faire du saucisson
Prenez un oisillon.
Etouffez et pilez
Bien saler et ficeler
Découper et manger.

Gisèle Prassinos ("Comptines pour fillottes et garcelons")



- Charles Le Quintrec -

Charles Le Quintrec , né en 1926 en Bretagne, est un écrivain et poète français.
Un de ses derniers romans : Les enfants de Kerfontaine (Albin Michel, 2007).


L'enfant

L’enfant n’est pas un ange
Ce n’est pas un démon

Il se cogne aux étoiles
Sans se blesser le front

Roi des eaux sidérales
Il s’invente un royaume

Un royaume à cheval
Entre l’aurore et l’aube

Chaque jour son regard
Recommence le monde.

Charles Le Quintrec ("")



1 novembre 2009

Chapouton - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Anne-Marie Chapouton -

Anne-Marie Chapouton (1939-2000) est une auteure de poésies, de contes, d'ouvrages pédagogiques et de romans pour les enfants et la jeunesse ("Poèmes petits", "1, 2, 3, comptines à compter", "La vache Amélie", " Méthode de lecture CP-CE1", etc).

On trouve aussi ce texte dans la catégorie PRINT POÈTES 2010 : LE FÉMININ EN POÉSIE :

La pluie

Gouttelette
rondelette
tombée
sur mon nez
piquelette
sur ma tête
voici mon amie
la pluie
chansonnette
doucelette
trottinant
chante la pluie
dans le vent.

Anne Marie Chapouton

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Il pleut

Il pleut
des feuilles jaunes
il pleut
des feuilles rouges

L’été va s’endormir
et l’hiver
va venir
sur la pointe
de ses souliers
gelés

Anne-Marie Chapouton ("Poèmes petits" - Delagrave, 1999) - poème remis dans sa forme d'origine : pas de ponctuation ni de majuscules.

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Deux poèmes dans deux recueils différents d'Anne-marie Chapouton, pour le même animal, la tortue :

Tortue  (sans titre, ce titre est proposé par le blog) 

Tortue, je t'observe.
Tu restes tapie
sous ta carapace,
puis, timidement,
tu sors ta tête.
Et tu attends
que les fruits mûrs
tombent tranquillement
sous l'arbre fruitier.
Tu es gourmande !
Le sais-tu, tortue ?

 

Anne-Marie Chapouton (Mon ABC en comptines - Père Castor - Flammarion, 1999)

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Quand on est tortue

Quand on est tortue,
On peut rentrer la tête
Sous sa carapace
Quand vient la pluie.

Alors on peut rêver
À l'abri,
Et repartir
À petits pas
Jusqu'à l'herbe prochaine
Qu'on atteindra
Ce soir...
Demain...
Ou même un peu plus tard...

Pas de problème
De retard !
Quand on est tortue,
On a toujours le temps
De vivre lentement !

Anne-Marie Chapouton ("Comptines pour les enfants bavards" - Père Castor, Flammarion)

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Rêve 4 (c'est sous ce titre qu'il apparaît dans le recueil, il y a 3 autres poèmes-rêves qui précèdent)

J'ai vu
trois châteaux
se promenant
lalaire
se promenant
dans les airs

puis je n'ai
plus rien vu
lalaire
plus rien vu
car ils étaient
redescendus

Anne-Marie Chapouton ("Poèmes petits" - Delagrave, 1999)



1 novembre 2009

Chazal (Malcolm de) - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Malcolm de Chazal -

Malcolm de Chazal (1902-1981), écrivain, essayiste, poète surréaliste et peintre, a vécu sur l'Île Maurice où il est né.
Les poèmes en forme d'aphorismes du recueil "Sens magique", sont de courts textes imagés et surréalistes. En voici un aperçu  :

“La femme nous rend poète, l'enfant nous rend philosophe.”
Malcolm de Chazal

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La vitre (titre proposé)

La vitre
Ne sait
Par
Quel côté
Se regarder
Pour se reconnaître.

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L'eau (titre proposé)

L'eau dit à la vague :
"Tu me bois.
-Comment le pourrais-je ?
Reprit la vague,
Je suis ta bouche."

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L'auto (titre proposé)

L'auto
N'atteindra
Jamais
La vitesse
de la route.

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Les animaux (titre proposé)

Tous les animaux

Sourient
Quand
Ils boivent.

Malcolm de Chazal ("Sens magique" 1957 - dans Oeuvres, tome 14, éditions Léo Scheer, 2004)



1 novembre 2009

Dupuy-Dunier, Durry - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Chantal Dupuy-Dunier -

Chantal Dupuy-Dunier est née en 1949.

Pour nous, plus grands, nos chagrins d'enfants :

Les animaux ...

Les animaux,
Les petits,
Les gros aussi, ils meurent tous,
ceux des maisons
comme ceux qui vivent dehors,
Les fourmis de dix-huit mètres
avec ou sans chapeau,
les étourneaux trop étourdis,
la chèvre de Monsieur Seguin.
Elle s'est battue toute la nuit
avant de se faire bouffer par le loup
au matin
- ça m'fout encore la larme à l'oeil
cette histoire parfumée
d'accent provençal et de serpolet -,
cette chèvre-là, elle est restée,
en quelque sorte,
mon héros dans la vie,
une libertaire,
une vraie résistante.

Chantal Dupuy-Dunier ("Où qu'on va après ?" - éditions Le dé bleu)



- Yves Duteil -

Yves Duteil (né en 1949 ) est un auteur-compositeur-interprète français.

"Prendre un enfant par la main" est sans doute sa chanson la plus connue.


Prendre un enfant par la main

Prendre un enfant par la main
Pour l'emmener vers demain.
Pour lui donner la confiance en son pas
Prendre un enfant pour un roi.
Prendre un enfant dans ses bras
Et pour la première fois
Sécher ses larmes en étouffant de joie
Prendre un enfant dans ses bras.

Prendre un enfant par le coeur
Pour soulager ses malheurs,
Tout doucement, sans parler, sans pudeur,
Prendre un enfant sur son coeur.
Prendre un enfant dans ses bras
Mais pour la première fois
Verser des larmes en étouffant sa joie,
Prendre un enfant contre soi.

Prendre un enfant par la main
Et lui chanter des refrains
Pour qu'il s'endorme à la tombée du jour,
Prendre un enfant par l'amour.
Prendre un enfant comme il vient
Et consoler ses chagrins,
Vivre sa vie des années puis soudain,
Prendre un enfant par la main,
En regardant tout au bout du chemin

Prendre un enfant pour le sien.

Yves Duteil (dans l'album : Tarentelle, EMI, 1977)



- Marie-Jeanne Durry -

Marie-Jeanne Durry (1901-1980) est une poète, essayiste et universitaire, auteure de recueils de poésie et d'ouvrages sur des écrivains (Chateaubriand, Flaubert ...)

Rêve d'enfant ?

Chanson

J'ai volé un petit nuage
Pour me promener

Je flotte sur les villages
D'un monde abandonné

Vous pouvez vous mettre en chasse
Vous ne m'attraperez pas

Mais d'en haut je tends mes nasses
Viens partager mon repas

De gouttes et d'étincelles
Viens partager mon repas

Je plonge et je te soulève
Jusqu'à mon nid dans le ciel

Le soleil est sur nos lèvres
Un gâteau de miel

Écoute comme je chante
Vois naître dans l'air

Les agiles couleurs changeantes
Qui frémissent sur la mer.

Marie-Jeanne Durry



1 novembre 2009

Carbet, Cadou - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Marie-Magdeleine Carbet -

Marie-Magdeleine Carbet est née en 1902 en Martinique. Elle était romancière, auteur de contes pour enfants, et poète ("Mini-poèmes sur trois méridiens" - 1977).

Le ruisseau

Le ruisseau qui glisse

Son filet d'eau claire
Parmi l'herbe lisse
En sait long
La lon laire
En sait long
Laire lon


Marie-Magdeleine Carbet

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L’acacia

Le vent
Passait, pleurant.
L’acacia dit :
Vent d’automne
Au front gris,
Tu t’ennuies :
Je te donne
Mes feuilles.
Prends, cueille
Et va jouer au volant
Avec ton amie
La pluie.
Le printemps,
En son temps,
M’en fera de plus jolies !

Marie-Magdeleine Carbet 



- René-Guy Cadou -

René-Guy Cadou (1920-1951) avait écrit, comme une prémonition : "Je ne ferai jamais que quelques pas sur cette terre". À partir de 1943, Hélène, épousée en 1946, l'accompagne pour ce temps si court qu'il lui reste à vivre. Hélène Cadou, poète comme lui, pour qui il a écrit "Hélène ou le règne végétal", publié en février 1951 (Le poète est mort de maladie en mars de la même année, à 31 ans).

Je t'atteindrai Hélène
À travers les prairies
À travers les matins de gel et de lumière...
René Guy Cadou

Son œuvre poétique complète, "Poésie, la vie entière", est parue en 1976 chez l'éditeur Pierre Seghers (poète également).

Les souvenirs d'enfance occupent une partie de ses poèmes.

Les amis d’enfance

Je me souviens du grand cheval
Qui promenait tête et crinière
Comme une, grappe de lumière
Dans la nuit du pays natal.

Qui me dira mon chien inquiet,
Ses coups de pattes dans la porte,
Lui qui prenait pour un gibier
Le tourbillon des feuilles mortes?

Maintenant que j’habite en ville
Un paysage sans jardins,
Je songe à ces anciens matins
Tout parfumés de marguerites.


René-Guy Cadou

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Le jardin de Grignon

Pour atteindre le ciel
À travers ce feuillage
Il faut que tous les yeux
Se soient réunis là

Je dis les yeux d’enfants
Pareils à des parvenches
Ou à ces billes bleus
Qui roulent sur la mer

On va dans les allées
Comme au milieu d’un rêve
Tant la grand-mère a mis
De grâce dans les fleurs

Et le chat noir et blanc
Qui veille sur les roses
Songe au petit oiseau
Qui viendrait jusqu’à lui

C’est un jardin de fées
Ouvert sur la mémoire
Avec des papillons
Epinglés sur son cœur.


René-Guy Cadou

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La blanche école où je vivrai

La blanche école où je vivrai
N'aura pas de roses rouges
Mais seulement devant le seuil
Un bouquet d'enfants qui bougent
On entendra sous les fenêtres
Le chant du coq et du roulier;
Un oiseau naîtra de la plume
Tremblante au bord de l'encrier
Tout sera joie! Les têtes blondes
S'allumeront dans le soleil,
Et les enfants feront des rondes
Pour tenter les gamins du ciel.

René-Guy Cadou ("Poésie, la vie entière", œuvres complètes - Seghers, 1976)

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Automne

Odeur des pluies de mon enfance
Derniers soleils de la saison !
A sept ans comme il faisait bon
Après d'ennuyeuses vacances,
Se retrouver dans sa maison !

La vieille classe de mon père,
Pleine de guêpes écrasées,
Sentait l'encre, le bois, la craie
Et ces merveilleuses poussières
Amassées par tout un été.

O temps charmant des brumes douces,
Des gibiers, des longs vols d'oiseaux,
Le vent souffle sous le préau,
Mais je tiens entre paume et pouce
Une rouge pomme à couteau.

René-Guy Cadou ("Les amis d’enfance " ; "Poésie, la vie entière" - Seghers)

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La saison de Sainte-Reine

Je n’ai pas oublié cette maison d’école
Où je naquis en février dix neuf cent vingt
Les vieux murs à la chaux ni l’odeur du pétrole
Dans la classe étouffée par le poids du jardin
Mon père s’y plaisait en costume de chasse
Tous deux nous y avions de tendres rendez-vous
Lorsqu’il me revenait d’un monde de ténèbres
D’une Amérique à trois cents mètres de chez nous
Je l’attendais couché sur les pieds de ma mère
Comme un bon chien un peu fautif d’avoir couru
Du jardin au grenier des pistes de lumière
Et le poil tout fumant d’univers parcourus
La porte à peine ouverte il sortait de ses manches
Des jeux de cartes des sous belges ou des noix
Et je le regardais confiant dans son silence
Pour ma mère tirer de l’amour de ses doigts
Il me parlait souvent de son temps de souffrance
Quand il était sergent-major et qu’il montait
Du côté de Tracy-le-Mont ou de la France
La garde avec une mitrailleuse rouillée
Et je riais et je pensais aux pommes mûres
À la fraîcheur avoisinante du cellier
À ce parfum d’encre violette et de souillure
Qui demeure longtemps dans les sarraus mouillés
Mais ce soir où je suis assis près de ma femme
Dans une maison d’école comme autrefois
Je ne sais rien que toi Je t’aime comme on aime
Sa vie dans la chaleur d’un regard d’avant soi.

René Guy Cadou - 1953 - ("Hélène ou le règne végétal")

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L'enfant précoce

Une lampe naquit sous la mer
Un oiseau chanta
Alors dans un village reculé
Une petite fille se mit à écrire
Pour elle seule
Le plus beau poème
Elle n’avait pas appris l’orthographe
Elle dessinait dans le sable
Des locomotives
Et des wagons pleins de soleil
Elle affrontait les arbres gauchement
Avec des majuscules enlacées et des cœurs
Elle ne disait rien de l’amour
Pour ne pas mentir
Et quand le soir descendait en elle
Par ses joues
Elle appelait son chien doucement
Et disait
"Et maintenant cherche ta vie."


René-Guy Cadou ("Poésie, la vie entière", œuvres complètes - Seghers, 1976)



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